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que je tenois sur lui, s’arma de toile cirée et de silence pour les laisser glisser, et poussa sa pointe parmi la noblesse, sur le gros de laquelle le témoignage des ducs qui s’étoient trouvés chez moi avec le duc de Noailles, ni ceux de mes amis de leurs confrères sur mes sentiments à l’égard de la noblesse, ne les put ramener. Noailles avoit bien pris ses mesures pour les mettre et les entretenir dans l’opinion et la furie qui lui convenoit sur moi.

Il ne faut pas demander si M. et Mme du Maine surent profiter d’une si favorable occasion à leurs intérêts et à leur disposition pour moi, plus que tout quand la chose fut une fois enfournée. L’envie et la jalousie générale de la figure que personne ne douta que je n’allasse faire par un régent avec qui j’avois les plus anciennes, les plus importantes, les plus uniques liaisons, qui lui avois rendu les plus signalés services, qui étois demeuré le seul homme dont l’attachement pour lui avoit été fidèle et public sans craindre les menaces ni les plus grands dangers, et qui étois le seul dans toute sa confiance et vu publiquement tel. Cette gangrène du monde avoit gagné même des ducs ; Noailles en sut profiter.

Son abattement depuis son rappel d’Espagne avoit émoussé l’envie et la jalousie sur lui ; celle qu’on prenoit de moi avoit toute sa force dans le moment naissant d’une splendeur prévue, toujours bien au-dessus de ce qui arrive en effet. Par Canillac, ami intime de La Feuillade, il se lia à lui. On a pu voir par divers traits qu’ils étoient tous deux assez homogènes. Par La Feuillade [il se lia] avec les ducs de Villeroy et de La Rochefoucauld, lequel rogue, glorieux, et aussi envieux que son père, avec aussi peu d’esprit, n’avoit pu me pardonner la préséance sur lui, ni son beau-frère, un avec lui. Richelieu, jeune étourdi alors, plein d’esprit, de feu, d’ambition, de légèreté, de galanterie, apprenoit à voler sous les ailes de La Feuillade, que le bel air avoit rendu son oracle, et qui, cousin germain de Noailles par sa