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poursuivre jusqu’au but qu’il s’en étoit promis. Il eut beau protester à Mme de Saint-Simon qu’il diroit partout combien je m’étois opposé à ce projet, il étoit bien éloigné d’une palinodie si subite, et si destructive de ses projets particuliers. Il continua donc, par tout ce qu’il avoit mis en campagne et par lui-même, à répandre les mêmes discours qui avoient si parfaitement réussi à son gré ; mais personnellement il prit mieux garde devant qui il parloit, et il fut très attentif à m’éviter partout et Mme de Saint-Simon aussi, même en lieux publics, autant qu’il lui fut possible.

Je ne fus informé que tard de cette exécrable perfidie, et de tout son effet. Alors seulement les écailles me tombèrent des yeux. Je commençai à comprendre la cause de cette étrange idée de salutation du roi, et de cette fermeté encore plus surprenante à la soutenir, malgré mes raisons invincibles au contraire. Je revins à ce qui s’étoit nouvellement passé entre Noailles et moi sur la place de premier ministre ; je me rappelai son ardeur pour les finances, sa traîtreuse conduite avec Desmarets, depuis que je savois qu’il pensoit à lui succéder, et surtout depuis qu’il en avoit l’assurance. Je me rappelai aussi son éloignement doux, mais adroit et constant, de la convocation des états généraux ; et je me souvins que, deux jours avant cet éclat, j’avois inutilement pressé M. le duc d’Orléans de songer promptement, et avant tout, à donner les ordres pour la faire, lui qui jusque-là n’avoit respiré autre chose. Enfin je vis qu’un guet-apens, de si loin et si profondément pourpensé, si contradictoire à toute vérité, si subit, si à bout portant, et dans une telle crise de toute espèce de choses et d’affaires, étoit le fruit de la plus infernale ambition, et de l’ingratitude la plus consommée.

Sans ressource auprès du roi et de Mme de Maintenon, aussi mal avec Mgr [le Duc] et Mme la duchesse de Bourgogne, et par même forfaiture en abomination à la cour d’Espagne, guère mieux à la nôtre qui l’avoit mieux reconnu