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attendre le moins, il vint chez moi, en apparence sur le bonnet, en effet pour cette scène qu’il avoit préparée ; c’est que rien ne persuade qui met son plus cher intérêt à ne l’être ou à ne le paroître pas. On va voir qu’il ne pensa jamais sérieusement à cette nouveauté, qu’il n’en avoit parlé à aucun autre duc que cette fois dans ma chambre, que la pièce n’étoit jouée que pour moi, et l’usage pour lequel il l’avoit imaginée. Le duc de Noailles étant sorti, j’en dis encore mon avis à ceux qui étoient dans ma chambre qui ne purent nier que je n’eusse toute la raison possible, et qui de guerre lasse, parce que la conférence avoit été longue et infiniment vive, s’en allèrent. Plein de la chose, je passai dans la chambre de Mme de Saint-Simon à qui je contai ce qui venoit de se passer, et avec qui je déplorai une démence si parfaitement inutile à réussir, et dont les suites deviendroient aussi pernicieuses.

Les ducs qui s’étoient trouvés dans ma chambre, et qui ne faisoient que d’en sortir, n’eurent pas le temps de parler à aucun autre duc de ce qui avoit fait chez moi cette manière de scène. Dès ce moment cette belle idée de salutation du roi se répandit en prétention, vola de bouche en bouche. Coetquen, beau-frère de Noailles, et fort lié avec lui, quoique fort peu avec sa sœur, courut le château, ameutant les gens de qualité qui, comme je l’avois prévu et prédit, prirent subitement le tour et le ton que j’avois annoncés, tellement que le soir même ce fut un grand bruit qui se fomenta toute la nuit en allées et venues, et dont Paris fut incontinent informé.

Outre l’affluence que l’extrémité du roi, la curiosité, les divers intérêts, l’attente de ce qui alloit suivre ce grand événement, attiroit à Versailles, ce bruit de la salutation y amena encore une infinité de monde, et les plus petits compagnons s’empressèrent et s’honorèrent d’augmenter le vacarme pour s’agréger aux gens de qualité, qui le souffroient par ne s’en pouvoir défaire, et dans la fougue d’augmenter le tumulte