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au régent ; [ce] qui fut la double vue du duc et de la duchesse du Maine. Ce crayon suffira pour le présent ; il y aura lieu bientôt de le changer en tableau, quand l’usage de cette folle cohue sera devenu plus dangereux pour le gouvernement. C’en est assez ici pour expliquer ce qu’en sut faire le duc de Noailles, non moins bon ouvrier, et en même genre et goût que le duc du Maine. On ne peut mieux exalter son infernal talent, ni faire en même temps une comparaison plus exactement juste.

J’ai dit plus haut que le duc de Noailles m’avoit fait une proposition absurde que j’avois fort rejetée, et qu’il n’étoit pas temps d’expliquer : c’est maintenant ce qu’il s’agit de faire. C’étoit qu’à la mort du roi tout ce qui se trouveroit de ducs à la cour allassent ensemble saluer le nouveau roi à la suite de M. le duc d’Orléans et des princes du sang. Je ne sais si dès lors il étoit informé du mouvement qui se préparoit parmi la noblesse ; je ne l’étois point encore, et le secret en étoit alors entier. Il revint souvent à la charge là-dessus sans avoir pu m’ébranler ni répondre aux raisons que je lui alléguai, et qui seront mieux plus bas en leur place. Il en parla à d’autres ducs pour essayer de m’ébranler, et se servit pour cela des diverses petites assemblées, qui, à mesure que le roi baissoit, se faisoient chez divers ducs sur la conduite à tenir au parlement sur le bonnet, et qui se référoient des unes aux autres par quelqu’un de ces diverses petites assemblées. Il s’en tenoit aussi chez moi, indépendamment desquelles mon appartement étoit toujours assez rempli d’amis particuliers, curieux de tout ce qui se passoit d’un moment à l’autre en des temps si vifs et si intéressants, et bientôt je fus averti que les entours de mon appartement étoient assiégés nuit et jour de valets de chambre et de laquais de toutes sortes de personnes de la cour, pour voir qui y entroit et sortoit, et pénétrer ce qui s’y passoit, autant que ces dehors le pouvoient permettre.

Un soir d’assez bonne heure que je montai chez le duc de