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et les plus dévoués à ses prétentions et à ses ordres ? Que dira le roi d’Espagne, si dévot, si publiquement jésuite, et qui est avec M. le duc d’Orléans comme chacun sait ? Que diront toutes les puissances catholiques, chez qui tous les jésuites ont tant de crédit, et de qui presque toutes ils sont les confesseurs ? Et les peuples catholiques de toute l’Europe où par la chaire, le confessionnal, les classes, les jésuites ont autant d’amis et de partisans que ces mêmes moyens leur en donnent en France ? Que diront tous les ordres réguliers, peut-être jusqu’aux bénédictins, dominicains et chanoines réguliers divers [1], les seuls peut-être d’entre les réguliers qui soient ennemis des jésuites ? Ne doit-on pas juger que tous frémiront d’un coup qui peut les frapper à leur tour, si la fantaisie en prend ; qu’ils en craindront le menaçant exemple, et qu’ils se réuniront avec tout ce qui se sentira, ou se croira intéressé à l’empêcher ? et s’ils en viennent à bout, quelle folie, quelle ignominie se sera-t-on si gratuitement préparée, mais quel péril encore, et péril à ne plus pouvoir espérer sûreté ni tranquillité, après s’être mis le dedans et le dehors contre-soi avec ce qu’on appelle la religion à la tête ! Je conclus enfin que cette tentative, si bien concertée qu’elle pût être, seroit la perte de M. le duc d’Orléans, et un tel bouleversement que je ne voyois pas comment ni quand on pourroit le calmer.

Mon discours fut plus étendu que je ne le rapporte, et je ne fus point interrompu. Quand j’eus fini, je vis deux hommes étonnés et fâchés qui ne purent répondre un seul mot à pas une des objections que je venois de faire, et qui en même temps me déclarèrent l’un et l’autre que je ne les avois point persuadés. Tous deux, en s’interrompant l’un

  1. Chanoines soumis à une règle monastique, comme les prémontrés, les antonins, les génovéfains, etc. Les chanoines réguliers furent institués par les conciles tenus à Rome, en 1059 et 1063. Ils s’établirent en France, à Saint-Victor de Paris, en 1119.