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étoient venus le matin savoir des nouvelles du roi, comme en tout temps ils y venoient souvent les dimanches, mais j’avois cru le duc de Noailles seul dans son cabinet, et le procureur général retourné à Paris de fort bonne heure, comme ces magistrats faisoient toujours.

À peine se fut-il tiré un siège auprès de nous, que le duc de Noailles lui dit ce qu’il s’agitoit entre lui et moi, qui pourtant n’avois pas dit un mot encore, mais à qui un geste échappé de surprise avoit mis le duc de Noailles en plaidoyer. Il remit le peu qu’il venoit de dire au procureur général, qui l’interrompit bientôt pour me regarder froidement, et me dire de même que c’étoit la meilleure et la plus utile chose que l’on pût faire au commencement de la régence que l’expulsion totale, radicale et sans retour des jésuites hors du royaume, et de disposer sur-le-champ de leurs maisons et de leurs biens en faveur des universités. Je ne puis exprimer ce que je devins à cette sentence du procureur général ; cette folie, assez contagieuse pour offusquer un homme aussi sage, et dans une place qui ne lui permettoit pas d’en ignorer la mécanique et les suites, me fit peur d’en être gagné aussi. L’étonnement où je fus me mit en doute aussi d’avoir bien entendu ; je le fis répéter et je demeurai stupéfoit. Ils s’aperçurent bientôt à ma contenance que j’étois plus occupé de mes pensées que de leurs discours ; ils me prièrent de leur dire ce que je trouvois de leur proposition. Je leur avouai que je la trouvois tellement étrange, que j’avois peine à croire à mes oreilles. Ils se mirent là-dessus, l’un avec feu, l’autre avec poids et gravité, et s’interrompant l’un l’autre, à me dire ce que chacun sait sur les jésuites, leur domination, leur danger pour l’Église et pour l’État et pour les particuliers. À la fin l’impatience me prit, je les interrompis à mon tour, et il me parut que je leur faisois plaisir, dans celle où ils étoient d’entendre ce que j’avois à leur dire.

Je leur déclarai que, pour abréger, je ne leur contesterois