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cardinal de Rohan, fit à Paris son entrée avec une magnificence extraordinaire, et jeta au peuple beaucoup de médailles d’argent et quelques-unes d’or. L’état du roi, qui montroit manifestement ne pouvoir plus durer que peu de jours, et dont je savois par Maréchal des nouvelles plus sûres que celles que Fagon se vouloit persuader à soi et aux autres, me fit penser à Chamillart, qui avoit, en sortant de place, une pension du roi de soixante mille livres. J’en demandai la conservation et l’assurance à M. le duc d’Orléans, et je l’obtins aussitôt avec la permission de le lui mander à Paris. Il y étoit fort touché de la maladie du roi, et fort peu de toute autre chose. Il ne laissa pas d’être agréablement surpris de ma lettre, et d’être bien sensible à un soin de ma part qu’il n’avoit pas eu pour lui-même. Il m’envoya une lettre de remerciement que je rendis à M. le duc d’Orléans. Je n’ai rien fait qui m’ait donné plus de plaisir. La chose demeura secrète jusqu’à la mort du roi ; je ne perdis pas de temps à la faire déclarer incontinent après la régence.

Ce même jour je montai chez le duc de Noailles sur les huit heures du soir, au bas du degré duquel je logeois. Il étoit enfermé dans son cabinet, d’où il vint me trouver dans sa chambre. Après plusieurs propos sur l’état du roi et sur l’avenir, il se mit a enfiler un assez long discours sur les jésuites, dont la conclusion fut de me proposer de les chasser tous de France, de remettre en leur premier état les bénéfices qu’ils avoient fait unir à leurs maisons, et d’appliquer leurs biens aux universités où ils se trouveroient situés. Quoique les propositions extravagantes du duc de Noailles, dont j’ai parlé, me dussent avoir appris qu’il en pouvoit faire encore d’aussi folles, j’avoue que celle-là me surprit autant que si elle eût été la première de ce genre. II s’en aperçut à mon air effrayé, il se mit en raisonnements, et cependant son cabinet s’ouvrit, d’où je vis le procureur général sortir et venir à nous. Plusieurs du parlement