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faisoit peur, et lui donnoit une physionomie hideuse. Il portoit des habits gris, doublés de rouge, avec des boutons d’or d’orfèvrerie à pointe, d’assez beaux diamants ; jamais vêtu comme un autre, et toujours d’invention, pour se donner une distinction. Il avoit de l’esprit mais confus, savoit peu, fort l’air et les manières du grand monde, ouvert, accueillant, poli d’ordinaire, mais tout cela étoit mêlé de tant d’air de supériorité qu’on étoit blessé même de ses politesses. On n’étoit pas moins importuné de son infatigable attention au rang qu’il prétendoit jusqu’à la minutie, à primer dans la conversation, à la ramener toujours à soi ou aux siens avec la plus dégoûtante vanité. Les besoins le rendoient souple jusqu’au plus bas valetage. Il n’avoit d’amis que pour les dominer et se les sacrifier. Vendu corps et âme aux jésuites, et eux réciproquement à lui, il trouva en eux mille importantes ressources dans les divers états de sa vie, jusqu’à des instruments de ses félonies. Sa vie en aucun temps n’eut d’ecclésiastique et de chrétien que ce qui servoit à sa vanité.

Son luxe fut continuel et prodigieux en tout ; son faste le plus recherché, et le plus industrieux pour établir et jouir de toute la grandeur qu’il imaginoit. Ses mœurs étoient infâmes, il ne s’en cachoit pas ; et le roi, qui abhorra toujours ce vice jusque dans son propre frère, le souffrit dans M. de Vendôme et dans le cardinal de Bouillon, non seulement sans peine, mais il en fit longtemps ses favoris. Peu d’hommes distingués se sont déshonorés aussi complètement que celui-là, et sur autant de chapitres les plus importants. Ses débauches, son ingratitude, ses félonies ; la fabrication du cartulaire de Brioude pour se faire descendre des ducs d’Aquitaine, juridiquement prouvée, condamnée, lacérée, le faussaire condamné sur son propre aveu, les Bouillon forcés d’avouer tout au roi et aux juges, et le cardinal de Bouillon prouvé et avoué l’inventeur et celui qui avoit mis de Bar en besogne de cette fabrication, de concert avec son