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ces étranges ténèbres. Elles suffisent du moins pour consoler de sa mort les gens sages, les gens de bien et d’honneur, et ceux qui aiment la paix, et qui détestent les désordres. Achevons tout de suite ce qui regarde Maisons et les siens, pour n’en pas interrompre les derniers jours de Louis XIV.

Il n’est malheureusement que trop commun de trouver de ces prétendus esprits forts qui se piquent de n’avoir point de religion, et qui, séduits par leurs mœurs et par ce qu’ils croient le bel air du monde, laissent volontiers voir ce qu’ils tâchent de se persuader là-dessus, sans toutefois en pouvoir venir à bout avec eux-mêmes. Mais il est bien rare d’en trouver qui n’aient point de religion, sans que, par leur état dans le monde, ils osent s’en parer. Pour le prodige que je vais exposer, je doute qu’il ait jamais eu d’exemple, en même temps que je n’en puis douter par ce que mes enfants et ceux qui étoient auprès d’eux m’en ont appris, qui dès leur première jeunesse, comme on l’a vu ci-dessus, ont vécu avec le fils de Maisons dans la plus grande familiarité, et dans l’amitié la plus intime qui n’a fini qu’avec la vie de ce jeune magistrat. Son père étoit sans aucune religion. Veuf sans enfants fort jeune, il épousa la sœur aînée de la maréchale de Villars, qui se trouva n’avoir pas plus de religion que lui. Ils eurent ce fils unique pour lequel ils mirent tous leurs soins à chercher un homme d’esprit et de mise qui joignit la connoissance du monde à une belle littérature, union bien rare, mais ce qui l’est encore plus, et dont le père et la mère firent également leur capital, un précepteur qui n’eût aucune religion, et qui, par principes, élevât avec soin leur fils à n’en point avoir. Pour leur malheur, ils rencontrèrent ce phénix accompli dans ces trois parties, d’agréable compagnie, qui se faisoit désirer dans la bonne, sage, mesuré, savant, de beaucoup d’esprit, très corrompu en secret, mais d’un extérieur sans reproche et sans pédanterie, réservé