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prince qu’à Paris où il n’avoit que des moments, et assez rarement depuis un temps ; Maisons n’en pouvoit donc espérer le même usage, et il se flattoit de me vaincre par le coin de la bâtardise que Canillac avoit bien aussi, mais peut-être moins que moi, parce qu’il perdoit moins avec eux. Maisons, de longue main en grande société avec lui, eût peut-être été fâché de le perdre, et pour moi c’étoit double gain à tous égards, pour un bâtard et pour un président à mortier, et de s’ouvrir à d’autres n’alloit pas à leur but, et y étoit même directement contraire. Enfin Maisons vouloit-il voir si à la fin M. le duc d’Orléans ou moi serions assez dépourvus de sens commun pour mordre à un si pernicieux hameçon, nous conduire au bord du précipice, nous y laisser jeter dans l’espérance que le désordre effroyable qui en naîtroit mettroit la dictature du royaume entre les mains du parlement, que lui par son crédit dans la compagnie et par ses accès [1], il se rendroit l’entremetteur entre les partis, et feroit longuement ainsi la première et la plus utile figure ; ou, nous voyant près de tenter l’entreprise, y faire naître lui-même des difficultés, nous affubler après de l’ignominie d’une résolution si folle et si désespérée, et se donner auprès du duc du Maine, du parlement, du public, l’honneur de l’avoir empêchée ? Quoi qu’il en soit, il est incompréhensible qu’un président à mortier sage, sensé, et de conduite toujours approuvée, avec beaucoup d’esprit, de réputation et de connoissance du monde, fort riche et fort compté partout, ait pu concevoir un projet d’une extravagance aussi parfaite et aussi désespérée, le proposer, en presser, et ne se point lasser de faire les derniers efforts pour le persuader, et continuellement, et sans se rebuter de rien pendant toute une année, et jusqu’à sa mort. Il n’a pas assez vécu pour donner le temps de percer

  1. Ce mot est peu lisible dans le manuscrit. L’auteur a peut-être écrit amis, ce qui ferait un sens préférable.