Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée

toutes les sortes qui m’étoient continuellement tendus. Mais cette fausseté indispensable me coûtoit si prodigieusement, que j’étois toujours en crainte de la trahison de mon visage, du son de ma voix, de toute ma contenance. Il n’est pas possible d’exprimer le combat qui se passe au fond d’une âme franche, droite, naturelle, vraie, qui, au milieu des périls de la plus dangereuse cour du monde n’a jamais pu se masquer même sur rien, et à qui il en a bien des fois coûté cher, sans avoir pu se résoudre à prendre leçon de ses expériences, dont ces Mémoires sont pleins ; quel tourment, dis-je, elle souffre lorsqu’elle se trouve en ce détroit unique : ou de perdre l’État que je comptois sauver et réparer, perdre M. le duc d’Orléans dont j’avois seul le secret, et me perdre moi-même ; ou de tromper avec soin, art et industrie, une princesse avec qui je vivois depuis des années dans la plus intime et la plus réciproque amitié et confiance, qu’il falloit voir sans cesse sur ce même pied, en être attaqué sans mesure aussi avec toute sorte d’art et d’industrie, et la tromper continuellement par toutes sortes de détours. Je revenois quelquefois de chez elle chez M. le duc d’Orléans l’avertir promptement, pour qu’il se trouvât de la conformité dans ce qu’il lui répondroit avec les discours que je lui avois tenus, souvent aux larmes, et si plein de rage et de désespoir, qu’il augmentoit encore par en rire, lui à qui ce personnage n’étoit pas si nouveau, que je me licenciois de colère à lui en dire plus que très librement mon avis ; et c’est de la sorte que s’écoula tout le temps jusqu’à la mort du roi.

On a vu que l’édit qui appelle les bâtards du roi à la couronne, etc., comme ayant l’honneur d’être ses fils et petits-fils, est de juillet 1714, enregistré le 2 août, même année ; que le roi remit son testament aux premier président et procureur général le dimanche matin 27 août, même année ; qu’il n’y eut que vingt-six jours entre l’édit et le testament, et que le duc du Maine, Mme de Maintenon et le chancelier