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changement dans ces moments critiques ; sur la difficulté de trouver mieux ni aussi bien ; sur la rareté des sujets, sur les jalousies et le péril des méprises en matière d’innovation et de choix ; sur le fâcheux état des finances et de l’intérieur du royaume, enfin sur le testament du roi, après qu’il fut su qu’il en avoit fait un, qui me donna beau champ sur le respect qu’un tel et si long règne avoit imprimé dans l’esprit de tout le monde pour ses volontés, dont l’exécution seroit le seul parti sage et le meilleur qu’on pût prendre en soi, et dans un pays où la longue habitude de l’obéissance aveugle a tellement passé en loi qu’il n’y a plus personne qui imagine qu’il soit permis ni possible de s’y soustraire.

Tous ces propos, enflés et allongés, ne satisfaisoient point Mme la duchesse d’Orléans. Elle avoit eu trop d’occasions de me voir des sentiments plus libres, et de regimber contre l’éperon, pour se payer de ce que je lui répondois. Elle m’objecta le testament de Louis XIII, et en raisonna au mieux sur les conséquences à en tirer et à en prévoir pour celui de Louis XIV. Je sentis incontinent toute sa défiance de mes réponses, et toute celle qu’elle avoit de la solidité de ce dernier testament, dont, à ce qui s’y étoit passé et qui a été rapporté t. XI, p. 173 et suiv., elle ne se pouvoit cacher que le roi ne doutât lui-même autant, ou plus que personne. Il étoit très important de la rassurer sur l’une et sur l’autre défiance.

Je me mis donc à raisonner sur la comparaison des temps, des personnes, des conjonctures, sur la différence d’un règne plein de factions et de guerres civiles, d’avec un autre du double de durée, d’une puissance absolue déployée en tout genre, sans la plus légère, non pas contradiction, mais représentation, qui non seulement avoit anéanti toute autre autorité que la sienne immédiate, mais encore tout crédit, toute union, toute autre considération que la sienne et de ses ministres, par conséquent tout personnage et toute autre fonction d’emploi quelconque et de charges que des domestiques,