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du crédit et des places ; je riais en moi-même de ce vil empressement pour un homme qui n’en avoit encore que l’espérance, et j’en divertissois M. le duc d’Orléans pour le prémunir d’avance là-dessus lui-même.

Le duc de Noailles, qui ne le voyoit qu’en Nicodème [1], redoubloit peu à peu ses visites. Il tâchoit inutilement de s’attirer quelque confidence sur les projets d’un prochain avenir. Il m’en faisoit des plaintes amères, il se rabattoit sur la peine où le mettoit de ne pouvoir rien tirer sur les places que je lui avois dit que je désirois pour lui et pour son oncle. Je le tenois en haleine, je lui disois que la proposition que j’en avois faite avoit bien pris, mais que je n’en pouvois savoir davantage. Tantôt il me prioit d’insister, tantôt il m’assuroit que je savois bien à quoi m’en tenir, et me conjuroit de rompre mon silence. Je voyois en lui une passion extrême de cette place des finances, dont il m’entretenoit sans cesse, mais le roi ne me paraissoit pas assez proche de sa fin, même après son testament fait, pour qu’on pût s’expliquer à personne de ce qui le devoit survivre, de sorte que je m’en tins là avec le duc de Noailles, et M. le duc d’Orléans aussi. Mais le testament fait, j’eus lieu de douter qu’il se tînt dans la même réserve sur ce qui regardoit Maisons avec lui, et quoique ce qui se verra de ce magistrat semble fort contrarier ce soupçon, tout ce que je remarquai depuis le testament surtout et dans l’un et dans l’autre, me persuada que Maisons comptoit fermement sur les sceaux et sur le premier crédit, sans toutefois que ni l’un ni l’autre m’en aient rien laissé entendre.

Mme la duchesse d’Orléans n’étoit pas la moins inquiète des limbes où on la laissoit sur l’avenir. Elle sentoit toute la situation du duc du Maine. Elle ne pouvoit se dissimuler ce qu’il méritoit de M. le duc d’Orléans. Cet intérêt à part, qui lui étoit le plus sensible, elle étoit touchée de celui de

  1. En secret, comme Nicodème visita d’abord Jésus-Christ.