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devenu par là son oracle ; peut-être Nocé, par ignorance, ébloui du nom du parlement.

Nocé étoit un grand homme, qui avoit été fort bien fait, qui avoit assez servi pour sa réputation, qui avoit de l’esprit et quelque ornement dans l’esprit, et de la grâce quand il vouloit plaire. Il avoit du bien assez considérablement, et n’étoit point marié, parce qu’il estimoit la liberté par-dessus toutes choses. Il étoit fort connu de M. le duc d’Orléans, parce qu’il étoit fils de Fontenay, qui avoit été son sous-gouverneur, et il lui avoit plu par la haine de toute contrainte, par sa philosophie tout épicurienne, par une brusquerie qui, quand elle n’alloit pas à la brutalité, ce qui arrivoit assez souvent, étoit quelquefois plaisante sous le masque de franchise et de liberté ; d’ailleurs un assez honnête mondain, pourtant fort particulier. Il étoit fort éloigné de s’accommoder de tout le monde, fort paresseux, ne se gênoit pour rien, ne se refusoit rien. Le climat, les saisons, les morceaux rares qui ne se trouvoient qu’en certains temps et en certaines provinces, les sociétés qui lui plaisoient, quelquefois une maîtresse ou la salubrité de l’air l’attiroient ici et là, et l’y retenoient des années et quelquefois davantage. D’ailleurs poli, vouloit demeurer à sa place, ne se soucioit de rien que de quelque argent, sans être trop avide, pour jeter librement à toutes ses fantaisies, dont il étoit plein en tout genre, et à pas une desquelles il ne résista jamais. Tout cela plaisoit à M. le duc d’Orléans, et lui en avoit acquis l’amitié et la considération. C’étoit un de ceux qu’il voyoit toutes les fois qu’il alloit à Paris, quand Nocé y étoit lui-même, avec lesquels tous je n’avois ni liaison ni connoissance, parce que je ne voyois jamais M. le duc d’Orléans à Paris, et que ces personnes-là ne venoient jamais à Versailles. Depuis la régence, je n’eus guère plus de commerce avec eux. Leur partage étoit les soupers et les amusements du régent, le mien les affaires, sans aucun mélange avec ses plaisirs.