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plus que des choses courantes, publiques, indifférentes, en un mot, de ce qui s’appelle la pluie et le beau temps. Cette bouderie froide de sa part, tranquille de la mienne, dura bien trois semaines. Il s’en lassa le premier. Au bout de ce temps, au milieu d’une conversation languissante, mais où je remarquai plus d’embarras de sa part qu’à l’ordinaire : « Hé bien ! donc, s’interrompit-il lui-même, voilà qui est donc fait ? Vous demeurez déterminé à ne point vouloir des finances ? » me dit-il en me regardant.

Je baissai respectueusement les yeux, et je répondis d’une voix assez basse que je comptois qu’il n’étoit plus question de cela. Il ne put retenir quelques plaintes, mais sans aigreur et sans se fâcher ; puis se levant et se mettant à faire des tours de chambre, sans dire mot et la tête basse, comme il faisoit toujours quand il étoit embarrassé, il se tourna tout à coup brusquement à moi en s’écriant : « Mais qui donc y mettrons-nous ? » Je le laissai un peu se débattre, puis je lui dis qu’il en avoit un tout trouvé, s’il le vouloit tout au meilleur, et qui à mon avis ne refuseroit pas. Il chercha sans trouver ; je nommai le duc de Noailles. À ce nom il se fâcha et me répondit que cela seroit bon pour remplir les poches de la maréchale de Noailles, de la duchesse de Guiche, qui de profession publique vivoient des affaires qu’elles faisoient à toutes mains, et enrichir une famille la plus ardente et la plus nombreuse de la cour, et qui se pouvoit appeler une tribu. Je le laissai s’exhaler, après quoi je lui représentai que pour le personnel il ne me pouvoit nier que le duc de Noailles n’eût plus d’esprit qu’il n’en falloit pour se bien acquitter de cet emploi, ni toute la fortune la plus complète en biens, en charges, en gouvernements, en alliances, pour y être à l’abri de toute tentation, et donner à son administration tout le crédit et toute l’autorité nécessaire, en sorte que, dès que son Altesse Royale convenoit qu’il y falloit mettre un seigneur, il n’y en avoit point qui y fût plus convenable. Quant à ses proches,