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où il avoit autrefois réduit les Hollandois. Entrons après dans l’esprit et dans le cœur de ce monarque de bonheur, de gloire, de majesté, ne craignons pas d’ajouter d’apothéose après les monuments que nous en avons vus, et voyons ce prince ennemi implacable du prince d’Orange, pour avoir refusé d’épouser sa bâtarde, envoyer son principal ministre en ce genre courir en inconnu en Hollande avec pour tout passeport celui d’un courrier, descendre chez un banquier de Rotterdam et se faire mener par lui à la Haye chez le pensionnaire Heinsius, créature et confident de ce même prince d’Orange et héritier de sa haine, implorer la paix comme à ses genoux. Suivons par les Pièces tout ce que Torcy y essaya, poursuivons tous les sacrifices offerts et méprisés, qui, dans cette extrémité, ne rebutèrent pas le roi d’envoyer ses plénipotentiaires à Gertruydemberg ; continuons, par les Pièces, de repasser les traitements indignes et les propositions énormes dont on se joua d’eux et du roi, et l’état de ce prince à la rupture d’une négociation où, en lui prescrivant jusqu’à l’inhumanité qu’il n’osa refuser en partie, on exigea encore qu’il se soumît à s’engager à ce qu’ils ne déclareroient que quand il leur plairoit, et aux augmentations vagues qu’ils pourroient ajouter. Réfléchissons sur une situation si forcée et si cruelle, fruit déplorable de cette ancienne conquête de la Hollande, et de tant d’autres exploits. Qui après ne demeurera pas, je ne dis pas persuadé, mais convaincu que le roi n’eût donné tout ce qu’on eût voulu, pour n’avoir jamais connu Louvois ni les flatteurs, moins encore les moyens de franchir ce qu’il avoit encore trouvé de barrières à un pouvoir illimité, dont toutefois il s’étoit montré si jaloux, et ne se pas trouver, et inutilement encore, aux genoux et à la merci de ceux dont il avoit triomphé, et qu’il avoit insultés par tant de monuments et de médailles ? Tenons-nous-en donc à cette réflexion transcendante, pour ne pas craindre la banqueroute par rapport à l’autorité des rois.