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ordres du royaume, et qui pour leur grandeur particulière comptent pour rien d’exposer ce maître à qui ils doivent tout, au précipice qu’on vient de voir, et toute la France aux derniers et aux plus irrémédiables malheurs. Balancez après cet exposé les inconvénients et les fruits de la banqueroute avec ceux de continuer et de multiplier les impôts pour acquitter les dettes du roi, ou ce milieu de liquidation si ténébreux, et si peu fructueux, même si peu praticable. Voyez quelle suite d’années il faudra nourrir toute la France de larmes et de désespoir pour achever le remboursement de ces dettes ; et j’ose m’assurer qu’il n’est point d’homme, sans intérêt personnel au maintien des impôts jusqu’à se préférer à tout, qui, dans la malheureuse nécessité d’une injustice, ne préfère de bien loin celle de la banqueroute. En un mot, c’est le cas d’un homme qui est dans le malheur d’avoir à choisir de passer douze ou quinze années dans son lit, dans les douleurs continuelles du fer et du caustique et le régime qui y est attaché, ou de se faire couper la jambe qu’il sauveroit par cet autre parti. Qui peut douter qu’il ne préférât l’opération plus douloureuse et la privation de sa jambe, pour se trouver deux mois après en pleine santé, exempt de douleur, et dans la jouissance de soi-même et des autres par la société, et le libre exercice de ce qui l’occupoit auparavant son mal ? Reste à finir par l’autorité du roi.

Un mot seul suppléera à tout ce qui se pourroit dire, et à ce que les flatteurs et les empoisonneurs des rois se voudroient donner la licence de critiquer. Reportons-nous à ces temps malheureux où le plus absolu et le plus puissant de tous nos rois, le plus maître aussi de son maintien et de son visage, et dont le règne a été tel qu’on l’a vu, ne put retenir ses larmes en présence de ses ministres dans l’affreuse situation où il se voyoit de ne pouvoir plus soutenir la guerre ni obtenir la paix. Remettons-nous devant les yeux l’éclat où il avoit porté ses ministres, et l’humiliation plus que servile