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au roi de tirer ces sommes immenses pour exécuter tout ce qui lui plaît, et beaucoup plus souvent ce qu’il plaît à d’autres de lui mettre dans la tête pour leur intérêt particulier ; impossibilité qui le force à un gouvernement sage et modéré, qui ne fait pas de son règne un règne de sang et de brigandages et de guerres perpétuelles contre toute l’Europe bandée sans cesse contre lui, armée par la nécessité de se défendre, et à la longue, comme il est arrivé à Louis XIV, pour l’humilier, le mettre à bout, le conquérir, le détruire, car ce ne fut pas à moins que ses ennemis visèrent à la fin ; impossibilité qui l’empêche de se livrer à des entreprises romaines du côté des bâtiments militaires et civils, à une écurie qui auroit composé toute la cavalerie de ses prédécesseurs, à un luxe d’équipages de chasses, de fêtes, de profusions, de luxe de toute espèce qui se voilent du nom d’amusements, dont la seule dépense excède de beaucoup les revenus d’Henri IV et des commencements de Louis XIII ; impossibilité enfin qui n’empêche pas un roi de France d’être et de se montrer le plus puissant roi de l’Europe, de fournir avec abondance à toutes les parties du gouvernement, qui le rendent non seulement considérable mais redoutable à tous les potentats de l’Europe, dont aucun n’approche de ses revenus, ni de l’étendue suivie, ni de l’abondance des terres de sa domination, et qui ne lui ôte pas les moyens de tenir une cour splendide digne d’un aussi grand monarque, et de prendre des divertissements et des amusements convenables à sa grandeur, enfin de pourvoir sa famille avec une abondance raisonnable et digne de leur commune majesté.

L’autre effet de cette impossibilité délivre la France d’un peuple ennemi, sans cesse appliqué à la dévorer par toutes les inventions que l’avarice peut imaginer et tourner en science fatale par cette foule de différents impôts, dont la régie, la perception et la diversité, plus funestes que le taux des impôts mêmes, forme ce peuple nombreux dérobé à