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merveilles qui avoient été inspirées à son esprit, et que le doigt de Dieu avoit gravées si profondément dans son cœur. C’est donc la forte considération de raisons si prégnantes [1] et si fort au-dessus de toutes autres considérations qui me persuada que le plus grand service qui pût être rendu à l’État pour lequel les rois sont faits, et non l’État pour les rois, comme ce Dauphin le sentoit si bien, et ne craignoit pas de le dire tout haut, et le plus grand service encore qui pût être rendu aux rois mêmes étoit de les mettre hors d’état de tomber dans l’abîme qui s’ouvrit de si près sous les pieds du roi, ce qui ne se peut exécuter qu’en les mettant à l’abri des ambitieuses suggestions des futurs Louvois, et de la propre séduction des rois mêmes par l’entraînement de leurs goûts, de leurs passions, l’ivresse de leur puissance et de leur gloire, et l’imbécillité des vues et des lumières dont la vaste étendue n’est pas toujours attachée à leur sceptre. C’est ce qui se trouvoit par la banqueroute et par les motifs de l’édit qui l’auroit déclarée, qui se réduisent à ceux-ci. La monarchie n’est point élective et n’est point héréditaire. C’est un fidéicommis, une substitution faite par la nation à une maison entière, pour en jouir et régner sur elle de mâle en mâle, né et à naître, en légitime mariage, graduellement, perpétuellement, et à toujours, d’aîné en aîné, tant que durera cette maison, à l’exclusion de toute femelle, et dans quelque ligne et degré que ce puisse être.

Suivant cette vérité qui ne peut être contestée, un roi de France ne tient rien de celui à qui il succède, même son père ; il n’en hérite rien, car il n’est ici question que de la couronne, et de ce qui y est inhérent, non de joyaux et de mobilier. Il vient à son tour à la couronne, en vertu de ce fidéicommis, et du droit qu’il lui donne par sa naissance,

  1. Vieux mot que les anciens éditeurs ont remplacé par concluantes, mais qui se traduirait mieux par pressantes.