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qu’il n’y a point de trésors qui suffisent à un gouvernement déréglé, que le salut d’un État n’est attaché qu’à la sagesse de le conduire, et pareillement sa prospérité, son bonheur, la durée de sa gloire et de sa prépondérance sur les autres.

Louvois, pour régner seul et culbuter Colbert, inspira au roi l’esprit de conquête. Il forma des armées immenses, il envahit les Pays-Bas jusqu’à Amsterdam, et il effraya tellement toute l’Europe par la rapidité des succès, qu’il la ligua toute contre la France, et qu’il mit les autres puissances dans la nécessité d’avoir des armées aussi nombreuses que celles du roi. De là toutes les guerres qui n’ont comme point cessé depuis, de là l’épuisement d’un royaume, quelque vaste et abondant qu’il soit, quand il est seul sans cesse contre toute l’Europe ; de la cette situation désespérante où le roi se vit en fin réduit de ne pouvoir ni soutenir la guerre ni obtenir la paix à quelques cruelles conditions que ce pût être. Que ne pourroit-on pas ajouter en bâtiments immenses de ce règne et plus qu’inutiles de places ou de plaisirs, et de tant d’autres sortes de dépenses prodigieuses et frivoles, toutes voies dans un autre règne pour se retrouver au même point, ce qui n’est pas difficile, après y avoir été une fois. On dépend donc pour cela, non seulement d’un roi, de ses maîtresses, de ses favoris, de ses goûts, mais de ses propres ministres, comme on le doit originairement à Louvois.

On conviendra, je m’assure, qu’il n’est rien qui demande plus pressamment un remède, et que ce remède est dissous il y a longtemps. Que substituer donc, pour garantir les rois et le royaume de cet abîme ? L’incomparable Dauphin l’a bien senti et l’avoit bien résolu. Mais pour l’exécuter, il falloit être roi, non régent, et plus que roi, car il falloit être roi de soi-même et divinement supérieur à son propre trône. Qui peut espérer un roi de cette sorte, après s’en être vu enlever le modèle formé des mains de Dieu même, sur le point de parvenir à la couronne et d’exécuter les