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curé d’auprès d’Amboise, qui avoit passé plusieurs années en Perse, pour remplacer cet interprète. Il s’en acquitta très bien, et en fut mal récompensé. Le hasard me le fit fort connoître et entretenir. C’étoit un homme de bien, sage, sensé, qui connoissoit fort les mœurs et le gouvernement de Perse, ainsi que la langue, et qui, par tout ce qu’il vit et connut de cet ambassadeur, auprès duquel il demeura toujours tant qu’il fut à Paris, jugea toujours que l’ambassade étoit supposée, et l’ambassadeur un marchand de fort peu de chose, fort embarrassé à soutenir son personnage, où tout lui manquoit. Le roi, à qui on la donna toujours pour véritable, et qui fut presque le seul de sa cour qui le crut de bonne foi, se trouva extrêmement flatté d’une ambassade de Perse sans se l’être attirée par aucun envoi. Il en parla souvent avec complaisance, et voulut que toute la cour fût de la dernière magnificence le jour de l’audience, qui fut le mardi 19 février ; lui-même en donna l’exemple, qui fut suivi avec la plus grande profusion.

On plaça un magnifique trône, élevé de plusieurs marches, dans le bout de la galerie, adossé au salon qui joint l’appartement de la reine, et des gradins à divers étages de bancs des deux côtés de la galerie, superbement ornée ainsi que tout le grand appartement. Les gradins les plus proches du trône étoient pour les dames de la cour, les autres pour les hommes et pour les bayeuses [1] ; mais on n’y laissoit entrer hommes ni femmes que fort parés. Le roi prêta une garniture de perles et de diamants au duc du Maine, et une de pierres de couleur au comte de Toulouse. M. le duc d’Orléans avoit un habit de velours bleu, brodé en mosaïque, tout chamarré de perles et de diamants, qui remporta le prix de la parure et du bon goût. La maison royale, les

  1. Vieux mot indiquant des personnes qui regardent avec un air étonné. Il vient du verbe bayer ( tenir la bouche béante en regardant quelque chose ).