Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

mon application, pour insinuer à M le duc d’Orléans tout ce que je crus propre à l’y conduire, dès la vie même de M. le duc de Berry, dont il devoit tendre à être le vrai conseil, beaucoup plus encore lorsqu’il n’y eut plus personne entre M. le duc d’Orléans et la régence. À mesure que, par l’âge et la diminution de la santé du roi, je la voyois s’approcher, j’entrois plus en détail, et c’est ce qu’il faut expliquer.

Ce que j’estimai le plus important à faire, et le plus pressé à exécuter, fut l’entier renversement du système de gouvernement intérieur dont le cardinal Mazarin a emprisonné le roi et le royaume. Un étranger de la lie du peuple, qui ne tient à rien et qui n’a d’autre dieu que sa grandeur et sa puissance, ne songe à l’État qu’il gouverne que par rapport à soi. Il en méprise les lois, le génie, les avantages ; il en ignore les règles et les formes ; il ne pense qu’à tout subjuguer, à tout confondre, à faire que tout soit peuple ; et comme cela ne se peut exécuter que sous le nom du roi, il ne craint pas de rendre le prince odieux, ni de faire passer dans son esprit sa pernicieuse politique. On l’a vu insulter au plus proche sang royal, se faire redouter du roi, maltraiter la reine mère en la dominant toujours [1], abattre tous les ordres du royaume, en hasarder la perte à deux différentes reprises par ses divisions à son sujet, et perpétuer la guerre au dehors pour sa sûreté et ses avantages, plutôt que de céder le timon qu’il avoit usurpé. Enfin on l’a vu régner en plein par lui-même par son extérieur et par son autorité, et ne laisser au roi que la figure du monarque. C’est dans ce scandaleux éclat qu’il est mort avec les établissements, les alliances et l’immense succession qu’il a laissée, monstrueuse jusqu’à pouvoir enrichir seule le plus puissant roi de l’Europe.

Rien n’est bon ni utile qu’il ne soit en sa place. Sans

  1. Voy. notes à la fin du volume.