Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/172

Cette page n’a pas encore été corrigée

possible, et avec la plus sage prévoyance. C’étoit un bien dont nous n’étions pas dignes, qui ne nous avoit été montré que pour nous faire voir la possibilité d’un gouvernement juste et judicieux, et que le bras de Dieu n’étoit pas raccourci pour rendre ce royaume heureux et florissant, quand nous mériterions de sa bonté un roi véritablement selon son cœur. Il s’en falloit bien que le prince à qui la régence alloit échoir fût dans cet état si heureux pour soi et pour toute la France ; il s’en falloit bien aussi que, quelque parfoit que pût être un régent, il pût exécuter comme un roi. Je sentois l’un et l’autre dans toute son étendue, et j’avois bien de la peine à ne me pas abandonner au découragement.

J’avois affaire à un prince fort éclairé, fort instruit, qui avoit toute l’expérience que peut donner une vie de particulier fort éloigné du trône, et du cas de la régence, fort au fait de tant de grandes fautes qu’il avoit vues, et quelques-unes senties de si près, et des malheurs par lesquels lui-même avoit tant passé, mais prince en qui la paresse, la faiblesse, l’abandon à la plus dangereuse compagnie, mettoient des défauts et des obstacles aussi fâcheux que difficiles, pour ne pas dire impossibles à corriger, même à diminuer. Mille fois nous avions raisonné ensemble des défauts du gouvernement, et des malheurs qui en résultoient. Chaque événement, jusqu’à ceux de la cour, nous en fournissoit sans cesse la matière. Lui et moi n’étions pas d’avis différents sur leurs causes et sur les effets. Il ne s’agissoit donc que d’en faire une application juste et suivie pour gouverner d’une manière qui fût exempte de ces défauts, et en arranger la manière selon la possibilité qu’en peut avoir un régent, et dans la vue aussi d’élever le roi dans de bonnes et raisonnables maximes, de les lui faire goûter quand l’âge lui permettroit, et de lui ouvrir les yeux et la volonté à perfectionner en roi, après sa majorité, ce que la régence n’auroit pu achever ni atteindre. Ce fut là mon objet et toute