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l’inutilité de l’entreprise, dont il étoit tout hors de lui. « Taisez-vous sur toutes choses, » lui dit la reine, « et que ce que vous avez entendu ne vous échappe jamais. Ne me parlez point, je sais bien ce que je fais. » Tout cela ensemble jette une grande lumière sur une catastrophe également étonnante en la chose et en la manière, et fait bien voir le roi auteur, le roi d’Espagne consentant et contribuant par l’ordre si extraordinaire donné à Amenzaga, et la reine actrice et chargée de l’exécution, en quelque sorte que ce fût, par les deux rois. La suite en France confirmera cette opinion.

La chute de la princesse des Ursins fit de grands changements en Espagne. La comtesse d’Altamire fut nommée en sa place camarera-mayor. C’étoit une des plus grandes dames d’Espagne. Elle étoit d’elle duchesse héritière de Cardone. Son mari étoit mort il y avoit quelques années, ayant passé par les plus grands emplois et par l’ambassade de Rome. J’aurai lieu de parler d’elle ailleurs, de ses enfants, de leurs alliances. Cellamare, neveu du cardinal del Giudice, fut nommé son grand écuyer ; et le cardinal del Giudice ne tarda pas à retourner à Madrid, et en considération. Par une suite naturelle, Macañas fut disgracié ; lui et Orry eurent ordre de sortir d’Espagne, ce dernier sans voir le roi, avec la malédiction publique. Il fut très mal reçu ici ; mais ses provisions étoient bien faites. Macañas emporta les regrets de tout le monde, ceux du roi même, qui lui continua ses pensions et sa confiance, et s’en servit au dehors en plusieurs choses et affaires secrètes. Pompadour, qui n’avoit été nommé ambassadeur en Espagne que pour amuser Mme des Ursins, fut remercié ; et le duc de Saint-Aignan revêtu de ce caractère, comme il pensoit à s’en revenir après avoir conduit la reine à Madrid.

Cette princesse n’oublia rien pour plaire au roi son mari, et y réussit au delà de ses espérances. Elle aimoit fort les Italiens, et les avança toujours tant qu’elle put, quels qu’ils fussent, au préjudice de tous autres, dont les Espagnols et les Flamands