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qu’elle ressentoit beaucoup, qu’elle ne l’aimoit point du tout et l’estimoit beaucoup moins encore ; que ce que j’en avance ici, elle me l’a dit à moi-même sans colère, mais en parlant et en raisonnant avec poids et avec réflexion, on sentira jusqu’à quel point elle étoit possédée du démon de la bâtardise, et que la superbe, poussée jusqu’au fanatisme, étoit devenue sa suprême divinité.

De là suivoit que tout ce qui non seulement alloit, mais pouvoit tourner aux avantages, à l’élévation, à la puissance du duc du Maine, elle n’y étoit pas moins ardente que lui ; que tous moyens de l’exalter et de l’affermir, je dis seulement ceux qui se peuvent proférer, lui étoient bons, et que cet aveuglement la portoit à être de moitié de tout avec le duc du Maine pour tout ce qu’il pouvoit désirer de M. le duc d’Orléans pour sa solide grandeur contre la sienne, et que les panneaux qu’il lui tendoit sans cesse pour le tromper et l’écraser sous ses pieds, elle les trouvoit des propositions raisonnables, sensées, pour le moins très plausibles, qui méritoient d’être examinées, et dont l’examen alloit toujours à tout ce que le duc du Maine pouvoit souhaiter. Ce que M. du Maine n’osoit par lui-même, il le faisoit insinuer par Saint-Pierre, qui ayant reconnu de bonne heure jusqu’à quel point la bâtardise étoit le point capital par lequel il pouvoit gouverner cette princesse, s’étoit dévoué à eux sans y paroître, et étoit eu intime liaison avec d’O ; et celui-ci, qui étoit au comte de Toulouse, et qui ne paraissoit pas avoir grande liaison avec le duc du Maine, étoit tout à lui là-dessus, et se maintint par là dans la faveur et la confiance du roi et de Mme de Maintenon, à quoi la conduite du comte de Toulouse ne pouvoit plus servir de nourriture, après qu’il fut parvenu à un certain âge.

Mme la duchesse d’Orléans ainsi conduite, et sans cesse recordée et pressée sur des choses qu’elle-même ne souhaitoit pas moins, étoit donc une épine fort dangereuse dans le sein de M. le duc d’Orléans. Il falloit bien vivre avec elle, ne