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à lui faire tout entreprendre, avec tout l’esprit, l’art et le manège propre à réussir ; toujours un but, et ne disant et ne faisant jamais rien sans un dessein, pour léger et indifférent que parût ce qu’elle disoit ou faisoit. Son mari, qui avoit de la naissance, n’étoit pas moins bassement intéressé, et trouvoit tout bon d’elle, pourvu que cela lui rapportât ; de ces officiers d’ailleurs, quoique mort lieutenant général de la régence, bons au plus à placer quelque part capitaines des portes.

Madame étoit une princesse de l’ancien temps, attachée à l’honneur, à la vertu, au rang, à la grandeur ; inexorable sur les bienséances. Elle ne manquoit point d’esprit, et ce qu’elle voyoit elle le voyoit très bien. Bonne et fidèle amie, sûre, vraie, droite, aisée à prévenir et à choquer, fort difficile à ramener ; grossière, dangereuse à faire des sorties publiques, fort Allemande dans toutes ses mœurs, et franche, ignorant toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les autres, sobre, sauvage et ayant ses fantaisies. Elle aimoit les chiens et les chevaux, passionnément la chasse et les spectacles, n’étoit jamais qu’en grand habit ou en perruque d’homme, et en habit de cheval, et avoit plus de soixante ans que, saine ou malade, et elle ne l’étoit guère, elle n’avoit pas connu une robe de chambre. Elle aimoit passionnément M. son fils, on peut dire follement le duc de Lorraine et ses enfants, parce que cela avoit trait à l’Allemagne, et singulièrement sa nation et tous ses parents, qu’elle n’avoit jamais vus. On a vu, à l’occasion de la mort de Monsieur, qu’elle passoit sa vie leur écrire et ce qu’il lui en pensa coûter. Elle s’étoit à la fin apprivoisée, non avec la naissance de Mme sa belle-fille, mais avec sa personne, qu’elle traitoit fort bien dès avant le renvoi de Mme d’Argenton.

Elle estimoit, elle plaignoit, elle aimoit presque Mme la duchesse d’Orléans. Elle blâmoit fort la vie désordonnée que M. le duc d’Orléans avoit menée ; elle étoit suprêmement indignée