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succinctement qu’il a été possible, de la façon dont elle étoit avec M. le duc de Berry, et des sentiments de ce prince pour elle, lorsqu’il mourut, de toutes lesquelles choses Mme de Saint-Simon a vu se passer d’étranges scènes en sa présence, et reçu et calmé d’étranges confidences de M. le duc de Berry ; enfin de ce qu’on a vu combien elle se piquoit d’une fausseté parfaite, et de savoir merveilleusement tromper, en quoi elle excelloit même sans aucune occasion.

Elle fit ce qu’elle put pour ôter toute religion à M. le duc de Berry, qui en avoit un véritable fond et une grande droiture. Elle le persécutoit sur le maigre et sur le jeûne, qu’il n’aimoit point, mais qu’il observoit exactement. Elle s’en moquoit jusqu’à lui en avoir fait rompre, quoique rarement, à force d’amour, de complaisance et d’embarras de ses aigres plaisanteries, et comme cela n’arrivoit point sans combat et sans qu’on ne vît avec quelle peine et quel scrupule il se laissoit aller, c’étoit encore sur cela même un redoublement de railleries qui le désoloient. Son équité naturelle n’avoit pas moins à souffrir des emportements avec lesquels elle exigeoit des injustices criantes dans sa maison à lui, car pour la sienne il n’eût osé rien dire. D’autres sujets plus intéressants mettoient sans cesse sa patience à bout, et plus d’une fois sur le dernier bord du plus affreux éclat. Elle ne faisoit guère de repas libres, et ils étoient fréquents, qu’elle ne s’enivrât à perdre connoissance, et à rendre partout ce qu’elle avoit pris, et si rarement elle demeuroit en pointe, c’étoit marché donné. La présence de M. le duc de Berry, de M. [le duc] et de Mme la duchesse d’Orléans, ni les dames avec qui elle n’avoit aucune familiarité, ne la retenoient pas le moins du monde. Elle trouvoit même mauvais que M. le duc de Berry n’en fît pas autant. Elle traitoit souvent M. son père avec une hauteur qui effrayoit sur toutes sortes de chapitres. La crainte du roi l’empêchoit de s’échapper si directement avec Mme sa