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princesse des Ursins, et subitement poussée au delà des dernières extrémités. Peut-on penser qu’une fille de Parme, élevée dans un grenier par une mère impérieuse, eût osé prendre d’elle-même une hardiesse de cette nature, inouïe à l’égard d’une personne de cette considération à tous égards, dans la confiance entière du roi d’Espagne et régnant à découvert, à six lieues du roi d’Espagne, qu’elle n’avoit pas encore vu ? La chose s’éclaircit par l’ordre si fort inusité et si secret qu’Amenzaga avoit du roi d’Espagne d’obéir en tout à la reine sans réserve et sans réplique, et qu’on ne sut qu’à l’instant de l’ordre qu’elle lui donna de l’arrêter et de la faire partir.

[Remarquons enfin] la tranquillité avec laquelle le roi et le roi d’Espagne, chacun de son côté, reçurent le premier avis de cet événement, et l’inaction du roi d’Espagne, la froideur de sa lettre à Mme des Ursins, et sa parfaite incurie de ce qu’une personne, si chérie encore la veille, pouvoit devenir jour et nuit par des chemins pleins de glace et de neige, dénuée de tout sans exception. Il faut se souvenir que l’autre fois que le roi fit chasser la princesse des Ursins, pour l’ouverture de la lettre de l’abbé d’Estrées au roi, et [pour] la note qu’elle avoit remise dessus, on n’osa hasarder l’exécution en présence du roi d’Espagne. Le roi voulut exprès qu’il partît pour la frontière du Portugal, et que de là il signât l’ordre qui fut porté à la princesse des Ursins de partir et de se retirer en Italie. Ce second tome ressemble fort en cela au premier. Ajoutons, ce que j’ai su du maréchal de Brancas, que, longtemps après cette dernière disgrâce, Albéroni, alors petit compagnon, et qui suivit la reine de Parme à Madrid, avoit conté qu’étant pendant ce voyage seul un soir avec elle, elle lui parut agitée, se promenant à grands pas dans la chambre, prononçant de fois à autre des mots entrecoupés, puis s’échauffant, il entendit le nom de Mme des Ursins lui échapper, et tout de suite : « Je la chasserai d’abord. » Il s’écria à la reine et voulut lui représenter le danger, la folie,