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peu de temps Mme la duchesse d’Orléans ne s’en put passer ni lui rien refuser ; cela a duré bien des années, et l’amitié et la familiarité toujours. Elle étoit gaie, libre, plaisante, savoit toutes les galanteries de la cour ; et la meilleure créature du monde. Marly les tenta, Mme la duchesse d’Orléans y fit l’impossible, et ne se rebuta point pendant plusieurs années. Elle y échoua toujours. Saint-Pierre étoit un très petit gentilhomme de basse Normandie, si tant est qu’il le fût bien, et le roi qui s’en informa n’en voulut pas ouïr parler pour Marly, pour manger ni pour entrer dans les carrosses. Ce fut le ver rongeur des Saint-Pierre qui, non contents de s’être enrichis et placés, vouloient faire les seigneurs.

J’ai dit ailleurs un mot de Mme de Jussac, qui étoit une femme du premier mérite en tout genre et du plus aimable ; ainsi je n’en redirai rien ici.

La duchesse Sforce étoit celle qui possédoit le plus le cœur et l’esprit de Mme la duchesse d’Orléans. C’étoit sa cousine germaine, seconde fille de Mme de Thianges, sœur de Mme de Montespan, qui l’avoit mariée fort jeune à Rome au duc Sforce en 1678, qui mourut sans enfants en 1685 à soixante-sept ans, veuf en premières noces d’une Colonne, fille du prince de Carbognano. Il étoit chevalier de l’ordre, qu’il avoit reçu en septembre 1675 par les mains du duc de Nevers à Rome, avec le duc de Bracciano. Sa mère étoit fille du duc de Mayenne, chef de la Ligue, et il étoit le neuvième descendant de père en fils de ce fameux Attendolo, qui de laboureur de Cotignola devint un des plus grands capitaines de l’Europe, seigneur et comte de sa patrie, avec d’autres grands États, gonfalonier de l’Église et connétable de Naples sous la reine Jeanne, et qui établit une puissante maison. Il prit le nom de Sforza d’un sobriquet sur la force de corps, sur ce que, résistant avec insolence à son général Alberic Balbiano sur le partage du butin, Balbiano lui demanda s’il vouloit usar meco forza, et qu’il feroit bien de