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balbutiant et la frayeur sur le visage. Je dis répondoit, car de prendre la parole avec le roi surtout, cela étoit plus fort qu’elle. Sa vie, au reste, étoit fort languissante dans une très ferme santé ; solitude et lecture jusqu’au dîner seule, ouvrage le reste de la journée, et du monde depuis cinq heures du soir qui n’y trouvoit ni amusement ni liberté, parce qu’elle n’a jamais su mettre personne à son aise. Ses deux frères furent tour à tour ses favoris. Jamais de commerce que de rare et sérieuse bienséance avec Mme la duchesse du Maine ; avec ses sœurs, on a vu ailleurs comme elles étoient ensemble, c’est-à-dire point du tout. Lorsque je commençai à la voir, le favori étoit son petit frère. C’est ainsi que par amitié et âge elle appeloit le comte de Toulouse. Il la voyoit tous les jours avec la compagnie, assez souvent seul dans son cabinet avec elle. M. du Maine, ce n’étoit alors que par visites peu fréquentes, et encore moins avec la compagnie. Ses vues l’en rapprochèrent après le mariage de M. le duc de Berry ; et depuis la mort de ce prince, il la ménageoit, mais pour s’en faire ménager, et de M. le duc d’Orléans par elle avec un manège merveilleux. Pour moi je ne la voyois jamais quand la compagnie avoit commencé. C’étoit presque toujours tête à tête, souvent avec M. le duc d’Orléans, quelquefois, mais rarement surtout avant la mort du roi, avec M. le comte de Toulouse, jamais avec M. du Maine. Ni l’un ni l’autre ne mettoient jamais le pied chez M. le duc d’Orléans qu’aux occasions ; ni l’un ni l’autre ne l’aimoient. Le duc du Maine avoit peu de disposition, intérêt à part, à aimer personne. Il épousa ensuite les sentiments de Mme de Maintenon, et on a vu après ce qu’il sut faire pour éloigner M. le duc d’Orléans des droits de sa naissance, et se saisir du souverain pouvoir. Le comte de Toulouse froid, menant une vie toute différente, et n’approuvant pas celle de M. le duc d’Orléans, touché des déplaisirs de sa sœur, et retenu par les mécontentements du roi. Je n’ai remarqué depuis en lui dans tous les temps que vérité,