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pris de passer pour mon fils, s’étoit bien informé de la famille pour en parler juste et n’être point surpris. On le fit enfermer pour quelque temps. Il avoit auparavant couru monde sons d’autres noms. Il crut que celui de mon fils, de l’âge auquel il se trouvoit à peu près, lui rendroit davantage.

La curiosité d’esprit de M. le duc d’Orléans, jointe à une fausse idée de fermeté et de courage, l’avoit occupé de bonne heure à chercher à voir le diable, et à pouvoir le faire parler. Il n’oublioit rien, jusqu’aux plus folles lectures, pour se persuader qu’il n’y a point de Dieu, et il croyoit le diable jusqu’à espérer de le voir et de l’entretenir. Ce contraste ne se peut comprendre, et cependant il est extrêmement commun. Il y travailla avec toutes sortes de gens obscurs, et beaucoup avec Mirepoix, mort en 1699, sous-lieutenant des mousquetaires noirs, frère aîné du père de Mirepoix, aujourd’hui lieutenant général et chevalier de l’ordre. Ils passoient les nuits dans les carrières de Vanvres et de Vaugirard à faire des invocations. M. le duc d’Orléans m’a avoué qu’il n’avoit jamais pu venir à bout de rien voir ni entendre, et se déprit enfin de cette folie. Ce ne fut d’abord que par complaisance pour Mme d’Argenton, mais après par un réveil de curiosité, qu’il s’adonna à faire regarder dans un verre d’eau le présent et le futur, dont j’ai rapporté sur son récit des choses singulières ; et il n’étoit pas menteur. Faux et menteur, quoique fort voisins, ne sont pas même chose ; et quand il lui arrivoit de mentir, ce n’étoit jamais que, lorsque pressé sur quelque promesse ou sur quelque affaire, il y avoit recours malgré lui pour sortir d’un mauvais pas.

Quoique nous nous soyons souvent parlé sur la religion, où, tant que j’ai pu me flatter de quelque espérance de le ramener, je me tournois de tous sens avec lui pour traiter cet important chapitre sans le rebuter ; je n’ai jamais pu démêler le système qu’il pouvoit s’être forgé, et j’ai fini par