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trouva destitué de toute espèce de ressource avec tant de talents, qui en devoient être une inépuisable d’amusements pour lui. Il étoit né ennuyé, et il étoit si accoutumé à vivre hors de lui-même, qu’il lui étoit insupportable d’y rentrer, sans être capable de chercher même à s’occuper. Il ne pouvoit vivre que dans le mouvement et le torrent des affaires, comme à la tête d’une armée, ou dans les soins d’y avoir tout ce dont il auroit besoin pour les exécutions de la campagne, ou dans le bruit et la vivacité de la débauche. Il y languissoit dès qu’elle étoit sans bruit et sans une sorte d’excès et de tumulte, tellement que son temps lui étoit pénible à passer. Il se jeta dans la peinture après que le grand goût de la chimie fut passé ou amorti par tout ce qui s’en étoit si cruellement publié. Il peignoit presque toute l’après-dînée à Versailles et à Marly. Il se connoissoit fort en tableaux, il les aimoit, il en ramassoit et il en fit une collection qui en nombre et en perfection ne le cédoit pas aux tableaux de la couronne. Il s’amusa après à faire des compositions de pierres et de cachets à la merci du charbon, qui me chassoit souvent d’avec lui, et des compositions de parfums les plus forts qu’il aima toute sa vie, et dont je le détournois, parce que le roi les craignoit fort, et qu’il sentoit presque toujours. Enfin jamais homme né avec tant de talents de toutes les sortes, tant d’ouverture et de facilité pour s’en servir, et jamais vie de particulier si désœuvrée ni si livrée au néant et à l’ennui. Aussi Madame ne le peignit-elle pas moins heureusement qu’avoit fait le roi par l’apophtegme qu’il répondit sur lui à Maréchal, et que j’ai rapporté.

Madame étoit pleine de contes et de petits romans de fées. Elle disoit qu’elles avoient toutes été conviées à ses couches, que toutes y étoient venues, et que chacune avoit doué son fils d’un talent, de sorte qu’il les avoit tous ; mais que par malheur on avoit oublié une vieille fée disparue depuis si longtemps qu’on ne se souvenoit plus d’elle, qui, piquée de