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de façon à connoître tous les personnages, et la plupart de ce qui ne l’étoit pas ; en un mot l’avantage d’avoir mené une vie privée avec les hommes, et acquis toutes les connoissances, qui, sans cela, ne se suppléent point d’ailleurs. Voilà le beau, le très beau sans doute et le très rare. Malheureusement il y a une contre-partie qu’il faut maintenant exposer, et ne craindre pas quelque légère répétition, pour le mieux faire, de ce qu’on a pu voir ailleurs.

Ce prince si heureusement né pour être l’honneur et le chef-d’œuvre d’une éducation, n’y fut pas heureux. Saint-Laurent, homme de peu, qui n’étoit même chez Monsieur que sous-introducteur des ambassadeurs, fut le premier à qui il fut confié. C’étoit un homme à choisir par préférence dans toute l’Europe pour l’éducation des rois. Il mourut avant que son élève fût hors de sous la férule, et par le plus grand des malheurs, sa mort fut telle et si prompte qu’il n’eut pas le temps de penser en quelles mains il le laissoit, ni d’imaginer qui s’y ancreroit en titre. On a vu (t. Ier, p. 20) que ce fut l’abbé Dubois, comment il y parvint, combien il s’introduisit avant dans l’amitié et la confiance d’un enfant qui ne connoissoit personne, et l’énorme usage qu’il en sut faire pour espérer fortune et acquérir du pain. Le précepteur sentoit qu’il ne tiendroit pas longtemps par cette place, et tout le poids d’avoir été l’instrument du consentement qu’il surprit au jeune prince pour son mariage, lequel ne lui avoit pas rendu ce qu’il en avoit espéré, et qui l’avoit même perdu auprès du roi par la folie qu’il eut, dans une audience secrète qu’il en obtint, de lui demander pour prix de son service la nomination au chapeau. Il se vit donc réduit à M. de Chartres, et ne pensa plus qu’à le gouverner. Il a fait un si grand personnage depuis la mort du roi, qu’il est nécessaire de le faire connoître. On y reviendra bientôt.

Monsieur, qui étoit fort glorieux et gâté encore par avoir eu un gouverneur devenu duc et pair dans sa maison, et