Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/102

Cette page n’a pas encore été corrigée

donc ? me demandera-t-on ; commander les armées tant que la guerre auroit duré, et se divertir le reste du temps sans contrainte ni à lui ni à autrui.

C’étoit en effet à quoi il étoit extrêmement propre. Une valeur naturelle, tranquille, qui lui laissoit tout voir, tout prévoir, et porter les remèdes, une grande étendue d’esprit pour les échecs d’une campagne, pour les projets, pour se munir de tout ce qui convenoit à l’exécution, pour s’en aider à point nommé, pour s’établir d’avance des ressources et savoir en profiter bout à bout, et user aussi avec une sage diligence et vigueur de tous les avantages que lui pouvoit présenter le sort des armes. On peut dire qu’il étoit capitaine, ingénieur, intendant d’armée, qu’il connoissoit la force des troupes, le nom et la capacité des officiers, et les plus distingués de chaque corps, [savait] s’en faire adorer, les tenir néanmoins en discipline, exécuter, en manquant de tout, les choses les plus difficiles. C’est ce qui a été admiré en Espagne, et pleuré en Italie, quand il y prévit tout, et que Marsin lui arrêta les bras sur tout. Ses combinaisons étoient justes et solides tant sur les matières de guerre que sur celles d’État ; il est étonnant jusqu’à quel détail il en embrassoit toutes les parties sans confusion, les avantages et les désavantages des partis qui se présentoient à prendre, la netteté avec laquelle il les comprenoit et savoit les exposer, enfin la variété infinie et la justesse de toutes ses connoissances sans en montrer jamais, ni avoir en effet meilleure opinion de soi.

Quel homme aussi au-dessus des autres, et en tout genre connu ! et quel homme plus expressément formé pour faire le bonheur de la France, lorsqu’il eut à la gouverner ! Ajoutons-y une qualité essentielle, c’est qu’il avoit plus de trente-six ans à la mort des Dauphins et près de trente-huit à celle de M. le duc de Berry, qu’il avoit passés particulier, éloigné entièrement de toute idée de pouvoir arriver au timon ; courtisan battu des orages et des tempêtes, et qui avoit vécu