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qui au moins le conta ainsi, l’accident de la glissade dont on vient de parler, mais, à ce qui fut ajouté, la tête commençoit à s’embarrasser ; après qu’il eut perdu la parole, il prit le crucifix que le P. de La Rue tenoit, il le baisa et le mit sur son cœur. Il expira le vendredi 4 mai, à quatre heures du matin, en sa vingt-huitième année, étant né à Versailles le dernier août 1686.

M. le duc de Berry étoit de la hauteur ordinaire de la plupart des hommes, assez gros, et de partout, d’un beau blond, un visage frais, assez beau, et qui marquoit une brillante santé. Il étoit fait pour la société et pour les plaisirs, qu’il aimoit tous ; le meilleur homme, le plus doux, le plus compatissant, le plus accessible, sans gloire et sans vanité, mais non sans dignité, ni sans se sentir. Il avoit un esprit médiocre, sans aucunes vues et sans imagination, mais un très bon sens, et le sens droit, capable d’écouter, d’entendre, et de prendre toujours le bon parti entre plusieurs spécieux. Il aimoit la vérité, la justice, la raison ; tout ce qui étoit contraire à la religion le peinoit à l’excès, sans avoir une piété marquée ; il n’étoit pas sans fermeté, et haïssait la contrainte. C’est ce qui fit craindre qu’il ne fit pas aussi souple qu’on le désiroit d’un troisième fils de France, qui ne pouvoit entendre dans sa première jeunesse qu’il y eût aucune différence entre son aîné et lui, et dont les querelles d’enfant avoient souvent fait peur.

C’étoit le plus beau et le plus accueillant des trois frères, par conséquent le plus aimé, le plus caressé, le plus attaqué du monde ; et comme son naturel étoit ouvert, libre, gai, on ne parloit dans sa jeunesse que de ses reparties à Madame et à M. de La Rochefoucauld qui l’attaquoient tous les jours. Il se moquoit des précepteurs et des maîtres, souvent des punitions ; il ne sut jamais guère que lire et écrire, et n’apprit jamais rien depuis qu’il fut délivré de la nécessité d’apprendre. Ces choses avoient engagé à appesantir l’éducation ; mais cela lui émoussa l’esprit, lui