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d’aller à Versailles pour l’empêcher de venir. Au retour de la revue, le roi entra chez M. le duc de Berry. Il avoit encore été saigné du bras, il avoit eu tout le jour de grands vomissements où il y avoit beaucoup de sang, et il avoit pris pour l’arrêter de l’eau de Rabel jusqu’à trois fois. Ce vomissement fit différer la communion ; le P. de La Rue étoit auprès de lui dès le mardi matin, qui le trouva fort patient et fort résigné.

Le jeudi 3, après une nuit encore plus mauvaise, les médecins dirent qu’ils ne doutoient pas qu’il n’y eût une veine rompue dans son estomac. Il commençoit dès la veille, mercredi, à se débiter que cet accident étoit arrivé par un effort qu’il avoit fait à la chasse le jeudi précédent que l’électeur de Bavière y étoit venu, en retenant son cheval qui avoit fait une grande glissade, et on ajouta que le corps avoit porté sur le pommeau de la selle, et que depuis il avoit craché et rendu du sang tous les jours. Les vomissements cessèrent à neuf heures du matin, mais sans aucun mieux. Le roi, qui devoit courre le cerf, contremanda la chasse. À six heures du soir, M. le duc de Berry étouffoit tellement qu’il ne put plus demeurer au lit ; sur les huit heures, il se trouva si soulagé qu’il dit à Madame qu’il espéroit n’en pas mourir ; mais bientôt après le mal augmenta si fort, que le P. de La Rue lui dit qu’il étoit temps de ne plus penser qu’à Dieu, et à recevoir le viatique. Le pauvre prince parut lui-même le désirer. Un peu après dix heures du soir, le roi alla à la chapelle où on gardoit une hostie consacrée dès les premiers jours de la maladie ; M. le duc de Berry la reçut et l’extrême onction, en présence du roi, avec beaucoup de dévotion et de respect. Le roi demeura près d’une heure dans sa chambre, vint souper seul dans la sienne, ne vit point les princesses après souper, et se toucha. M. le duc d’Orléans alla à deux heures après minuit à Versailles, sur ce que Mme la duchesse de Berry vouloit encore venir à Marly. Un peu avant de mourir, M. le duc de Berry dit au P. de La Rue,