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fois pour toutes. Sa Majesté y fut reçue en la manière accoutumée, mais sans que la compagnie sût aucune chose de sa résolution. En entrant, elle ne fit paroître que trop clairement sur son visage l’aigreur qu’elle avoit dans le cœur. « Chacun sait, leur dit-elle d’un ton moins doux et moins gracieux qu’à l’ordinaire, combien vos assemblées ont excité de trouble dans mon État [1], et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer, sous prétexte de délibérer sur les édits qui naguère ont été lus et publiés en ma présence. Je suis venu ici tout exprès pour en défendre (en montrant du doigt MM. des enquêtes) la continuation, ainsi que je fais absolument ; et à vous, monsieur le premier président [2] (en le montrant aussi du doigt), de les souffrir ni de les accorder, quelques instances qu’en puissent faire les enquêtes. » Après quoi, Sa Majesté s’étant levée promptement, sans qu’aucun de la compagnie eût dit une seule parole, elle s’en retourna au Louvre et de là au bois de Vincennes, dont elle étoit partie le matin, et où M. le cardinal l’attendoit. »

Voilà le récit le plus complet et le plus circonstancié de cette scène qui a été si singulièrement travestie par l’imagination de quelques historiens. Louis XIV, qui avoit alors dix-sept ans, étoit allé s’établir au château de Vincennes pour se livrer plus facilement au plaisir de la chasse ; ce qui explique le costume insolite dont parle Montglat. Malgré la défense formelle du roi, le parlement ne se tint pas pour battu ; le premier président entra en conférence avec le cardinal Mazarin, et les enquêtes demandèrent l’assemblée des chambres [3]. Le 29 avril, le premier président, avec les députés du parlement, alla supplier le roi de la leur accorder. « Mais, dit l’auteur du journal, le roi continuant dans la fermeté que son conseil avoit jugée nécessaire à l’entier rétablissement de son autorité, lui dit seulement : qu’il ne lui restoit aucune aigreur contre aucun de la compagnie ; qu’il ne vouloit point toucher à ses privilèges ; mais que le bien de ses affaires présentes ne pouvant consentir à leurs assemblées, Sa Majesté leur en dépendoit d’abondant la continuation. »

  1. Serait-ce cette parole qui aurait donné lieu à la phrase célèbre : L’État, c’est moi ? Beaucoup de prétendus mots historiques n’ont pas une origine plus sérieuse.
  2. Le premier président était alors Pomponne de Bellièvre.
  3. Ces détails se trouvent dans le journal anonyme que j’ai cité plus haut.