Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/441

Cette page n’a pas encore été corrigée

ambassadeur en Hollande, entra chez moi à Versailles comme j’achevois de dîner. Il me dit fort affligé qu’il venoit d’apprendre par un courrier que l’archevêque de Cambrai, son grand-oncle, étoit extrêmement mal ; et qu’il me venoit prier d’obtenir de M. le duc d’Orléans de lui envoyer Chirac, son médecin, sur-le-champ, et de lui prêter ma chaise de poste. Je sortis de table aussitôt. J’envoyai chercher ma chaise, et allai chez M. le duc d’Orléans, qui envoya chercher Chirac, et lui ordonna de partir et de demeurer à Cambrai tant qu’il y seroit nécessaire. Entre l’arrivée de Fénelon chez moi et le départ de Chirac il n’y eut pas une heure, et il alla tout de suite à Cambrai. Il trouva l’archevêque hors d’espérance et d’état à tenter aucun remède. Il y demeura néanmoins vingt-quatre heures, au bout desquelles il mourut. Ainsi, moi qu’il craignoit tant auprès de M. le duc d’Orléans pour les temps futurs, ce fut moi qui lui rendis le dernier service. Ce personnage a été si connu et si célèbre que, après ce qui s’en voit en plusieurs endroits ici, il seroit inutile de s’y beaucoup étendre, quoiqu’il ne soit pourtant pas possible de ne s’y arrêter pas un peu.

On a vu ici sa naissance d’ancienne et bonne noblesse, décorée d’ambassades, de divers emplois, d’un collier du Saint-Esprit sous Henri III, et d’alliances ; sa pauvreté, ses obscurs commencements, ses tentatives diverses vers les jansénistes, les jésuites, les pères de l’Oratoire, le séminaire de Saint-Sulpice, auquel enfin non sans peine il s’accrocha, et qui le produisit aux ducs de Chevreuse et de Beauvilliers ; le rapide progrès qu’il fit dans leur estime, la place de précepteur des enfants de France qu’elle lui valut, ce qu’il en sut faire, les sources et les progrès de la catastrophe de ses opinions et de sa fortune ; les ouvrages qu’il composa, ceux qui y répondirent ; les adresses qu’il employa et qui ne purent le sauver, la disgrâce de ses partisans, de ses amis, de ses protecteurs, à combien peu il tint qu’elle n’entraînât la ruine des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, et