Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/410

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résolu de mépriser tout, de ne relever rien, de ne faire pas la plus légère plainte, mais d’aller droit au fait, sans se détourner ni à droite ni à gauche, et sans l’embarrasser d’épines. Le roi fit donc dire au premier président de lui venir parler : il fallut obéir. Le roi lui dit qu’il étoit enfin temps de donner sa réponse ; que ce que les ducs demandoient lui sembloit juste ; qu’il seroit bien aise que cela fût ; qu’il n’entendoit pas commander, mais qu’il lui seroit agréable que cette affaire finît incessamment à leur satisfaction. Sur plusieurs difficultés alléguées par le premier président, le roi lui dit qu’il ne lui avoit pas paru difficile d’abord ; qu’il étoit surpris de ce changement ; qu’il y avoit assez longtemps que l’affaire traînoit ; que de façon ou d’autre il désiroit qu’il ne tardât plus à donner la réponse qu’il s’étoit chargé de lui rendre. Le premier président s’excusa sur sa santé comme il put, et sortit tout enflammé du cabinet du roi.

C’étoit encore à Marly. Il y étoit entré doux, poli, gracieux, accueillant tout le monde, surtout les ducs qu’il rencontra ; mais il n’étoit plus le même, son audience l’avoit entièrement changé. Les ducs qui se trouvèrent sous sa main en furent surpris. Il se plaignit à eux avec amertume qu’ils vouloient étrangler leur affaire, qu’il étoit inouï qu’on eût cette précipitation ; il allégua sa maladie. Il lui échappa même que d’Antin avoit bien recordé le roi, brossa à travers la compagnie, et disparut. Il ne disoit pas la cause principale de son chagrin, qui fut sue avec le reste de la conversation que je viens de rapporter une demi-heure après de d’Antin, à qui le roi le dit aussitôt que le premier président l’eut quitté. Un petit nombre de membres du parlement avoient tenu force propos sur les ducs : « que le roi faisoit trop de pairs ; qu’il falloit les traiter comme de simples conseillers, et n’en souffrir pas plus de douze en séance à la fois. » Le roi le sut de point en point, et se trouva fort choqué de la licence de ces messieurs ; et le froid et le silence de d’Antin, à qui il en avoit parlé, l’aigrit encore davantage.