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de guerre, ou noble, synonymes, lorsque le nom de noble commença à être en usage, à la différence des peuples conquis, qui de leur entière servitude furent appelés serfs.

Cette noblesse, pour parler un langage entendu, ne put suffire à la culture de ses terres. Elle en donna des portions aux serfs, chacun dans sa dépendance, non à condition de service militaire, comme les fiefs, mais à cens et à rente, et à diverses conditions, d’où sont venus les divers droits des terres. Ainsi ce peuple serf, qui n’avoit rien, commença à devenir propriétaire en partie, tandis qu’en partie il continua à ne posséder quoi que ce soit, et de ces deux sortes de serfs dont les uns devinrent propriétaires et les autres ne le furent pas, est composé le peuple ou ce qui a été appelé depuis le tiers état, et comme aujourd’hui se pouvoit distinguer dès lors en bourgeoisie et en simple peuple. Ces baillettes [1], qui furent données d’abord aux meilleurs habitants des villes, s’étendirent aux meilleurs de la campagne. Elles furent bientôt connues sous le nom de roture, à la différence des fiefs ; et leurs possesseurs sous le nom de roturiers [2], à la différence des seigneurs de fief, terme qui n’avoit et n’eut très longtemps que sa signification naturelle, et que l’orgueil a fait depuis prendre en mauvaise part.

L’Église fit aussi ses conquêtes pacifiques ; par la libéralité des rois et des grands seigneurs les évêques et les abbés les devinrent eux-mêmes. Ils eurent des portions de terre fort étendues, ils en donnèrent en fief comme avoient fait les grands seigneurs, et de là sont venus les grands bénéfices que nous voyons encore aujourd’hui, et alors la fidélité et le service militaire qu’ils devoient aux rois et qui leur étoit aussi dû à eux-mêmes par leurs vassaux, leur grand état temporel les fit considérer comme les autres grands seigneurs.

  1. Terres sans importance données à bail.
  2. Le mot roturier vient du latin barbare ruptarius (qui rumpit terram) : il s’appliquait primitivement aux paysans qui étaient condamnés aux travaux corporels ou corvée.