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Ce fut au festin qu’il donna le jour de la réception de son neveu au parlement, où étoient M. le Prince, M. le Duc, depuis connu le dernier sous le nom de M. le Prince, et M. le prince de Conti l’aîné, avec beaucoup de pairs, que lorsqu’on vint se mettre à table, M. de Noyon avisa la sottise des valets de la maison, dont le cardinal fut après bien en colère contre eux, qui avoient mis trois cadenas pour les trois princes du sang. Il alla les ôter tous trois l’un après l’autre, puis les regardant tous trois et se mettant à rire : « Messieurs, leur dit-il, c’est qu’il est plus court d’en ôter trois que d’en faire apporter une vingtaine. » Ils en rirent aussi comme ils purent parce que le droit très reconnu y est, et qu’il n’y avoit pas moyen de s’en fâcher. J’en ai ouï faire le conte à plusieurs des convives, et à M. de Noyon même, qui ne le faisoit jamais sans un nouveau plaisir.

Le cardinal d’Estrées retourna à Rome pour l’affaire de la régale et pour divers points des libertés de l’Église gallicane qu’il sut très bien soutenir. On disoit pourtant qu’on les entendoit crier et se quereller des pièces voisines, lui et don Livio Odescalchi, et qu’ils traitoient les affaires à coups de poing. Il fut à Rome plusieurs années chargé des affaires de France, conjointement avec le duc son frère, qui y demeura quatorze ans ambassadeur, logeant et mangeant ensemble dans la plus grande union. Le duc y mourut en 1687, et le cardinal demeura seul avec tout le poids à porter. Il eut après à soutenir tout celui de l’étrange ambassade du marquis de Lavardin, et toutes les fureurs de ce même pape, peu habile, très entêté et tout dévoué aux ennemis de la France, dont il se démêla avec grande capacité et dignité, conservant une grande considération personnelle dans une cour où on se piquoit alors de manquer au roi en tout. Il vit enfin mourir cet inepte pape à qui l’empereur Léopold dut tant, et l’Angleterre, et le prince d’Orange sa révolution et sa couronne, dont il n’a pas tenu aux Romains de faire un saint. Après l’élection d’Alexandre VIII,