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lui, qu’on lui entretiendroit chevaux, carrosses, femmes de chambre et laquais pour sortir et aller où il lui plairoit, et huit mille livres par an bien payées à elle pour ses habits et ses menus plaisirs. De part et d’autre ils furent fort aises, avec un peu de sens ils l’auroient été plus tôt et n’auroient point donné la farce au monde.

Le mercredi 28 novembre j’avois été une heure dans l’après-dînée avec le duc d’Orléans, qui se portoit fort bien à son ordinaire ; Mme la duchesse d’Orléans, qui avoit eu quelques légers accès de fièvre, étoit à Versailles ; j’allai de là trouver le roi qui étoit dans ses jardins. Après avoir été quelque temps à sa promenade, le froid m’en chassa vers la fin du jour, et je vins me chauffer dans le petit salon qui séparoit son appartement de celui de Mme de Maintenon, en attendant que le roi vint chez lui changer d’habit et passer chez elle. Au bout d’un demi-quart d’heure que je fus là tout seul, j’entendis crier M. Fagon, M. Maréchal, et d’autres noms de cette sorte, qu’on supposoit dans le cabinet du roi, attendant qu’il rentrât. À l’instant les cris redoublèrent, des garçons bleus coururent en même temps à travers ce salon. Je leur demandai ce que c’étoit. Ils me dirent que M. le duc d’Orléans se trouvoit extrêmement mal. J’y courus aussitôt. Je le trouvai traîné plutôt qu’appuyé sur deux de ses gens, tout déboutonné, sans cravate, qui le promenoient le long de son appartement, toutes les fenêtres ouvertes. Il étoit plus rouge encore qu’à l’ordinaire, mais rien de tourné dans le visage, les yeux un peu fixes et étonnés, la parole libre sans changement. Il me dit d’abord que cela lui avoit pris tout à coup par un étourdissement ; qu’il croyoit que ce ne seroit rien. Peu après Fagon vint, Maréchal, etc., qui le laissèrent encore promener, lui firent prendre quelques essences, et lui conseillèrent après de se mettre au lit, mais d’éviter d’y dormir. Ils vouloient le saigner, mais il y répugna ; ils s’y rendirent pour quelques heures. Je restai seul auprès de lui. Il me dit que, dans l’incertitude