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que cela lui fit six cent cinquante mille livres sur celle de secrétaire d’État, et deux cent mille livres sur celle de chancelier de l’ordre. Amelot eut dix mille écus pour son voyage.

Le marquis et la marquise de Gesvres divertissoient le public par leurs dissensions depuis quatre ans ; elle n’avoit ni père, ni mère, ni belle-mère. Le duc de Tresmes logeoit chez lui sa sœur la comtesse de Revel, il lui avoit confié sa belle-fille ; elle se trouva tenue de si court qu’elle s’en ennuya, et qu’elle résolut d’attaquer son mari d’impuissance afin de faire casser son mariage. Elle n’en étoit venue là qu’après bien des scènes domestiques. Sa grand’mère et ses parents l’appuyèrent ; les Caumartin frères de sa mère s’en brouillèrent ouvertement avec les Gesvres, dont ils étoient intimes de tout temps, et qui avoient fait le mariage. La cause, portée à l’officialité [1], y assembla tout Paris aux audiences ; les factums ne furent pas ménagés, et volèrent partout. On juge aisément de toutes les sottises qui abondèrent dans les plaidoyers, dans les écritures, et dans les propos qui s’en tinrent, qui à reprises furent la conversation de la cour et de la ville. Ils furent visités juridiquement l’un et l’autre plusieurs fois, avec la honte et les dérisions qui sont les suites inséparables de pareilles aventures. Les Gesvres en mouroient de douleur. Enfin la marquise de Gesvres, qui avoit beaucoup d’esprit, se lassa de cet infâme vacarme, et donna un désistement en bonne forme de ce vilain procès au cardinal de Noailles, moyennant un accommodement aussi bien assuré de n’avoir plus de dépendance, de loger avec son mari dans une maison particulière, eux deux seuls, qu’elle ne pourroit être à la campagne qu’avec

  1. L’officialité était le tribunal de l’évêque. L’official, ou juge d’église, avait juridiction sur tous les ecclésiastiques du diocèse, et dans certains cas sur les laïques, par exemple pour les procès relatifs aux mariages, hérésie, simonie, etc. L’official ne pouvait prononcer que des peines canoniques. Quand il s’agissait de peines corporelles, il devait en référer au juge séculier. Il y avait près de chaque official un promoteur qui remplissait les fonctions du ministère public.