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Il trouvoit de plus un grand obstacle dans la personne de Christine Éverardine son épouse et mère du prince électoral, fille de Christian-Ernest, marquis de Brandebourg-Bareith, princesse altière, courageuse, luthérienne zélée, qui avoit publiquement détesté son changement de religion, l’ambition qui l’y avoit porté, qui n’avoit jamais voulu mettre le pied en Pologne, ni prendre le nom, les marques et le rang de reine. Elle avoit même poussé les choses jusqu’à ne vouloir pas le voir dans les séjours qu’il alloit faire en Saxe, où elle se retiroit dans un château éloigné dès qu’elle apprenoit qu’il partoit de Pologne, et s’y tenoit jusqu’à ce qu’il fût retourné.

Tant d’obstacles ne furent pas capables de le rebuter. Il gagna l’esprit de son fils dans ses séjours en Saxe, il glissa sourdement auprès de lui quelques domestiques sûrs et de sa confiance ; et pour le tirer d’auprès de l’électrice en son absence, et d’une cour toute luthérienne, il le fit voyager avec peu d’accompagnement dans un entier incognito sous le nom de comte de Lusace.

Il choisit le palatin de Livonie pour lui confier le prince et son secret, et il étoit difficile de trouver un seigneur qui eût toutes les qualités de celui-là, et aussi capable de conduire aussi dignement et aussi convenablement un jeune prince dans les différentes parties de l’Europe qu’il lui fit voir. Le roi de Pologne y joignit un habile jésuite travesti qui en eut permission de son général et du pape, et qui conduisit la conversion du prince, et ses affaires à lui si heureusement et avec tant de dextérité, qu’il en fut fait cardinal lorsqu’on jugea qu’il étoit temps de rendre la conversion publique. C’est lui qui a figuré si longtemps depuis sous le nom de cardinal de Salerne, et mort à Rome au bout de neuf ou dix ans de son cardinalat.

Le prince électoral avec ce peu de suite vit l’Italie entière, après avoir parcouru une partie de l’Allemagne. Il séjourna longtemps à Rome où il fit secrètement son abjuration. Le