Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/218

Cette page n’a pas encore été corrigée

avoient de bons garants pour le faire. Dans le ministère je n’eus plus qui que ce fût : Desmarets, sans cause aucune, s’étoit éloigné de moi, et dès que je m’en aperçus je m’en éloignai de même. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers le remarquèrent ; ils me pressèrent de le voir et d’excuser un homme accablé d’aussi difficiles affaires, et voyant enfin qu’ils ne me persuadoient pas, ils me forcèrent d’y aller dîner avec eux, chose qui ne leur arrivoit presque jamais. Tout s’y passa à la glace pour moi de la part de Desmarets, dont les deux ducs furent tellement scandalisés qu’ils me dirent qu’ils ne m’en demanderoient plus davantage. C’étoit à Fontainebleau, un an juste avant la mort du duc de Chevreuse. Dans la suite, lorsqu’il falloit parler à Desmarets pour quelque mangerie de financiers dans mes terres, ou pour être payé d’appointements, je priois toujours Mme de Saint-Simon d’y aller. Bientôt elle n’en fut pas plus contente que moi. Elle laissoit accumuler plusieurs choses pour lui parler de toutes en même temps ; à la fin elle ne put se résoudre à y retourner. Différents payements d’appointements s’étoient accumulés ; je différois toujours à aller les demander, jusqu’à ce qu’un jour Mme de Saint-Simon m’en pressa tant que j’y fus après le dîner, qui étoit assez l’heure de lui parler.

Elle ne faisoit que finir lorsque j’entrai dans son cabinet, à Versailles, qui étoit grand. Il venoit de se mettre à son bureau. Dès que je parus il vint à moi d’un air ému, me coupa au premier mot la parole, disant qu’il étoit bien malheureux d’être la victime du public, et d’autres plaintes dont le ton s’élevoit. Voyant ainsi la marée monter à vue d’œil, je voulus essayer de reprendre la parole, il m’interrompit à l’instant ; le rouge lui monta, ses yeux s’enflammèrent, ses plaintes aigres, mais vagues et sans rien que je pusse prendre pour moi, redoublèrent d’une voix fort élevée, et tout d’un coup se jetant sur des papiers que je tenois à la main, que je m’étois proposé de lui expliquer en deux mots avant