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je lui connoissois pour moi, et il ajouta que si je lui donnois la parole qu’il me demandoit, je verrois, par ce qu’il avoit à me dire, qu’il auroit eu raison de vouloir s’en assurer. Je la lui donnai donc, encore plus surpris de cette recharge et plus curieux de ce qui la lui faisoit faire.

Il me dit que le roi n’espérant guère voir le Dauphin en âge de passer entre les mains des hommes, se croyoit être obligé de pourvoir lui-même à son éducation ; que le roi l’en vouloit charger et de tout ce qui la regardoit comme il l’avoit été de celle de Mgrs son père et ses oncles ; qu’il s’étoit excusé sur son âge et ses infirmités qui ne lui permettoient point les assiduités nécessaires, ni d’espérer même d’achever l’éducation jusqu’à l’âge qui la termine ; que le roi, persistant à vouloir l’en charger, consentoit qu’il ne fît que ce qu’il pourroit et voudroit ; et tout de suite fixant son regard plus attentivement sur moi : « Vous êtes, me dit-il, duc et pair, mon ancien ; auriez-vous de la peine à être gouverneur conjointement avec moi, à suppléer à tout ce que je ne pourrois faire, à agir dans cette fonction dans un concert entier, en un mot, quoique égaux en fonctions et plus ancien pair que moi, à n’être pas le premier ? C’est sur cela que je vous conjure de me répondre naturellement, sans complaisance, sûr que je ne serai blessé de rien. Vous voyez, ajouta-t-il, que j’avois raison de vous en demander votre parole ; vous me l’avez donnée, tenez-la-moi à présent. »

Je lui répondis que je la lui tiendrois en effet sans peine, que j’entendois bien que sous un nom pareil c’étoit être gouverneur sous lui en tout et partout ; que je ne connoissois qui que ce fût sans exception autre que lui, avec qui je l’acceptasse ; mais que pour lui que j’avois toute ma vie regardé comme mon père, qui m’en avoit servi, dont je connoissois les talents et la vertu avec une vénération aussi de toute ma vie, et la confiance et l’amitié par une expérience de même durée, je serois avec lui et sous lui, en tout et