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indignée, et leurs veilles et leurs soins redoublés pour enfermer le roi de telle sorte que ce murmure ne pût aller jusqu’à lui. Ils s’occupèrent plus que jamais à l’amuser et à lui plaire, et à faire retentir autour de lui les éloges, la joie, l’admiration publique d’un acte si généreux et si grand, en même temps si sage et si nécessaire au maintien du bon ordre et de la tranquillité publique, qui le feroit régner si glorieusement au delà même de son règne.

Cette consternation étoit bien naturelle, et c’est en cela même que le duc du Maine se trouva bien trompé et bien en peine. Il avoit cru tout préparer, tout aplanir en rendant M. le duc d’Orléans si suspect et si odieux ; il y étoit en effet parvenu, mais il croyoit l’être encore plus qu’il n’étoit véritable. Ses désirs, ses émissaires lui avoient tout grossi ; et il se trouva dans l’étonnement le plus accablant, quand, au lieu des acclamations publiques dont il s’étoit flatté que la nouvelle du testament seroit accompagnée, ce fut précisément tout l’opposé.

Ce n’étoit pas qu’on ne vît très clairement que ce testament ne pouvoit avoir été fait que contre M. le duc d’Orléans, puisque, si on n’eût pas voulu le lier, il n’étoit pas besoin d’en faire, il ne falloit que laisser aller les choses dans l’ordinaire et dans l’état naturel. Ce n’étoit pas, non plus, que les opinions et les dispositions semées et inculquées avec tant d’artifice et de suite contre ce prince eussent changé ; mais quoi qu’on en pensât, de quelque sinistre façon qu’on fût affecté à son égard, personne ne s’aveugloit assez pour ne pas voir qu’il seroit nécessairement régent par le droit incontestable de sa naissance ; que les dispositions du testament ne pouvoient l’affaiblir que par l’établissement d’un pouvoir qui balançât le sien ; que c’étoit former deux partis dans l’État, dont chaque chef seroit intéressé à se soutenir, et à abattre l’autre par tout ce que l’honneur, l’intérêt et le péril ont de plus grand et de plus vif ; que personne alors ne seroit à l’abri de la nécessité de choisir l’un ou