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remercier le roi, en forme et comme de la plus grande grâce qu’il auroit personnellement reçue, de ce qu’il venoit de faire pour les bâtards. Il brigua de leur donner un grand dîner, l’un des jours qu’ils devoient employer en sollicitations à Paris pour la forme. Il n’osa en prier ni ducs ni gens distingués. Enfin il se donna pour recevoir des compliments sur cette affaire. Il petilloit d’entrer dans le conseil, il séchoit d’être duc ; sa prostitution ne lui valut ni l’un ni l’autre.

Mais ce qui me donna fort à penser, fut que l’un des deux jours de cette sollicitation, le duc du Maine et le comte de Toulouse dînèrent à huis clos chez le président de Maisons. Je ne sais comment un homme d’esprit pouvoit espérer que cela ne se sauroit point. Il s’en flatta pourtant, aussi n’y eut-il nuls convives. Il se trouva fort embarrassé quand je lui en parlai. Je ne fis pas semblant de le remarquer, et pris pour bon le hasard qu’il allégua, qu’ils étoient pressés de leurs sollicitations, parce qu’ils ne couchoient point à Paris ; qu’ils ne savoient où manger un simple morceau, parce qu’ils ne vouloient pas s’arrêter à dîner. Cette conduite me sembla mal ajustée avec les fureurs dont j’avois été témoin il y avoit si peu de jours, et ces messieurs, dans l’apogée de leur faveur et de leur gloire, ne devoient pas être réduits à ne savoir où faire un léger repas à la hâte, et avec chacun une maison dans Paris. Maisons n’avoit pas eu cette préférence et cette privance sans l’avoir recherchée. C’est ce que je fis sentir à M. le duc d’Orléans, avec qui Maisons se déployoit tant en raisonnements contre les bâtards, et que je crus toujours avoir eu grande part à la scène dont il me rendit spectateur chez lui, qu’il se doutoit bien que je rendrois à ce prince.

Les deux frères, seuls avec leur cortège rassemblé, sans avertir personne de l’heure de leur visite, allèrent chez tous les pairs et chez tous ceux des magistrats qui avoient séance à la grand’chambre. Si toute voix avoit été étouffée, et jusqu’aux soupirs retenus, on peut juger quel crime c’eut été