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chez moi à Paris, d’où j’allai sur-le-champ chez Maisons avec l’empressement qu’il est aisé d’imaginer.

Je le trouvai seul avec le duc de Noailles. Du premier coup d’œil je vis deux hommes éperdus, qui me dirent d’un air mourant, mais après une vive quoique courte préface, que le roi déclaroit ses deux bâtards, et à l’infini leur postérité masculine, vrais princes du sang, en droit d’en prendre la qualité, les rangs et honneurs entiers, et capables de succéder à la couronne au défaut de tous les autres princes du sang. À cette nouvelle, à laquelle je ne m’attendois pas, et dont le secret jusqu’alors s’étoit conservé sans la plus légère transpiration, les bras me tombèrent. Je baissai la tête et je demeurai dans un profond silence, absorbé dans mes réflexions. Elles furent bientôt interrompues par des cris auxquels je me réveillai. Ces deux hommes se mirent en pied à courir la chambre, à taper des pieds, à pousser et à frapper les meubles, à dire rage à qui mieux mieux, et à faire retentir la maison de leur bruit. J’avoue que tant d’éclat me fut suspect de la part de deux hommes, l’un si sage et si mesuré, et à qui ce rang ne faisoit rien, l’autre toujours si tranquille, si narquois, si maître de lui-même. Je ne sus quelle subite furie succédoit en eux à un si morne accablement, et je ne fus pas sans soupçon que leur emportement ne fût factice pour exciter le mien. Si ce fut leur dessein, il réussit tout au contraire. Je demeurai dans ma chaise, et leur demandai froidement à qui ils en vouloient. Ma tranquillité aigrit leur furie. Je n’ai de ma vie rien vu de si surprenant.

Je leur demandai s’ils étoient devenus fous, et si au lieu de cette tempête il n’étoit pas plus à propos de raisonner, et de voir s’il y avoit quelque chose à faire. Il s’écrièrent que c’étoit parce qu’il n’y avoit rien à faire à une chose non seulement résolue, mais exécutée, mise en déclaration, et envoyée au parlement, qu’ils étoient outrés de la sorte ; que M. le duc d’Orléans, en l’état où il étoit avec le roi, n’oseroit