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De Mesmes, bien éveillé, bien averti, avoit tourné vers cette première charge de la robe une gueule béante. Le grand appui et l’unique qu’il eût lui manqua. M. du Maine, plein de tout ce qui ne tarda pas à éclore, avoit plus besoin du premier président totalement et servilement à lui que d’un chancelier ; il ne pouvoit jamais trouver de premier président plus en sa main, ni plus parfaitement corrompu et vendu à la fortune, par conséquent à la faveur et à la protection, que Mesmes ; il étoit donc de son intérêt principal de l’y conserver. Pour chancelier il avoit Voysin tout prêt, tout initié dans le conseil, dans l’habitude, dans la privance du roi, et aussi corrompu que l’autre pour la fortune et la faveur, mais nullement propre à manier rien que par voie d’autorité et de violence, et qui d’ailleurs étoit dans la confiance intime de Mme de Maintenon, et valet à tout faire et à tout entreprendre ; aussi elle et lui ne balancèrent-ils pas à préférer Voysin, qu’ils gouvernèrent comme ils voulurent auprès du roi, tandis que le premier président, vendu à M. du Maine, fut réservé pour le servir à la cour et dans le parlement par tout l’art et les manéges infâmes, dont il sera temps incontinent de parler à plus d’une reprise. J’ai suffisamment expliqué ailleurs quels étoient ces deux chanceliers et ce premier président pour n’avoir rien ici à y ajouter qu’un mot sur l’écorce.

Voysin porta ses deux [charges] comme on vient de le dire, et le roi eut l’enfantillage de s’amuser à le montrer. Au conseil, et tous les matins même qu’il n’y en avoit point, Voysin étoit vêtu en chancelier. L’après-dînée, il étoit en manteau court de damas, et travailloit ainsi avec le roi. Les soirs, comme c’étoit l’été, il quittoit son manteau, et paraissoit à la promenade du roi en justaucorps de damas. Cela parut extrêmement ridicule et parfaitement nouveau. M. de Lauzun, qui alloit volontiers faire des courses de Marly à Paris, se trouva en compagnie, où on lui demanda des nouvelles de Marly. « Rien, répondit-il de ce ton bas et